• Décryptage
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L'actualité terroriste et diplomatique le ferait presqu'oublier, mais la Syrie organise des élections législatives historiques et test le 7 mai. Le taux de participation, et la proportion de candidats issus de nouveaux partis d'opposition sont, avec les résultats bien sûr, les grandes inconnues de cette consultation inédite. Pour le reste, qui n'est pas rien, on s'accorde à dire que les forces soutenant le président Bachar al-Assad remporteront ces élections. Moins à cause d'une "terreur policière" ou d'un "bourrage des urnes" [...]



Et si on parlait un peu des législatives…

Par Louis Denghien,



L’actualité terroriste et diplomatique le ferait presqu’oublier, mais la Syrie organise des élections législatives historiques et test le 7 mai. Le taux de participation, et la proportion de candidats issus de nouveaux partis d’opposition sont, avec les résultats bien sûr, les grandes inconnues de cette consultation inédite. Pour le reste, qui n’est pas rien, on s’accorde à dire que les forces soutenant le président Bachar al-Assad remporteront ces élections. Moins à cause d’une « terreur policière » ou d’un « bourrage des urnes » que parce que dans une conjoncture marquée par un terrorisme cruel et la persistance de menaces et de manoeuvres de déstabilisation de la part de puissances étrangères, Bachar et les forces politiques sur lesquelles il s’appuie apparaissent, quoi qu certains syriens puissent leur reprocher, comme le seul bouclier de l’indépendance et de la paix intérieure.

Parmi ces force figure toujours le Parti Baas qui  à la faveur de la crise, a connu des défections, et peut-être une remise en cause salutaire. Comme tous les partis dominants sinon uniques, le Baas a contracté ces inévitables « cancers » politiques que sont la corruption, économique et politique, qui a mis à mal l’idéal socialiste, pan-arabe, nassérien des origines. Mutatis mutandis, le Baas s’est retrouvé dans la position peu enviable des parti communistes de l’Est européen au moment de l’effondrement général des systèmes soviétiques en 1990. Et, de fait, il a connu au printemps dernier, et au début du mouvement de contestation, une vague de démissions : 230 de ses membres, issus de la région de Banyas (sur le littoral) et de Deraa (point de départ de la révolte, dans le sud du pays) avaient ainsi annoncé, dans un texte communiqué à l’AFP, leur départ collectif. D’autres ont sûrement suivi, dans le reste du pays. Comme toujours, certaines démissions étaient dictées par un sentiment sincère de déception, et d’autres par l’opportunisme.

Des opposants d’hier et d’aujourd’hui

Damas, le 12 septembre : première sortie médiatique du Courant pour l'Édification de l'État syrien.

Du côté de l’opposition, les radicaux, on le sait, ont proclamé leur refus de participer à ces élections : le CNS d’Istambul, bien sûr, c’est-à-dire les Frères musulmans impliqués dans une logique révolutionnaire et du reste toujours interdits par la nouvelle constitution. Mais aussi le CCCND dont la figure de proue est Haytham Manaa. Quelques formations d’opposition – une opposition moins radicale que les organisations précitées, mais effectivement dirigées par des opposant à Hafez puis Bachar al-Assad – ont vu le jour, pour tenter leur chance électorale, jouer le jeu de l’ouverture, et donner une chance à la stabilité de la Syrie et à la réconciliation des Syriens. Ces initiatives étaient issues souvent de la réunion « historique » des opposants syriens du 27 juin 2011 à l’hôtel Sheraton de Damas, tolérée par le gouvernement. Nous avons déjà parlé dans ces pages du « Courant pour l’Édification de l’État syrien » de Louay Hussein, emprisonné sous Bachar (voir nos articles « L’opposition légale continue de se structurer » et  « Louay Hussein balloté entre légalisme et radicalisme », mis en ligne le 14 septembre et le 7 novembre). Et aussi du Parti démocrate social de Samira al-Massalma – journaliste en délicatesse avec Bachar – et Akram Khouzam, le premier à profiter du vent nouveau soufflant à la tête de l’État syrien (voir notre article « Création du premier des nouveaux partis », mis en ligne le 16 août).

Puis plus récemment est apparu le « Front populaire du Changement et de la Libération » (voir notre article « Désolé M. Juppé, Russes et Chinois ne veulent toujours pas de votre guerre ! », mis en ligne le 27 avril), constitué notamment par le Parti social nationaliste syrien (PSNS) hier encore associé avec le Baas et quatre autre partis au sein du Front national patriotique, coalition, sinon parti, unique de la vie politique syrienne. Les figures semble-t-il dirigeantes de cette structure sont Qadri Jamil, chef du Parti de la Volonté populaire, lui-même issu du « Parti communiste syrien », partenaire du Baas au sein du Front national patriotique, et Ali Heidar du PSNS, qui tous deux ont été reçus à Moscou fin avril par Sergueï Lavrov. D’autres sigles sont apparus à peu près a même moment, entre autres « Syrie démocratique », « Développement national », « al-Watan », « al-Ansar », etc, formations dont il est difficile de discerner et le poids réel, et l’orientation idéologique et surtout le degré d’autonomie par rapport au pouvoir.

Parmi les derniers-nés de ces formations, signalons une nouvelle « Coalition du changement pacifique » qui se revendique d’une gauche patriotique et regrouperait le « Courant Chemin Changement Pacifique » dont la plupart des membres sont en majorité d’anciens et actuels membres du « Parti de l’action communiste ». On signale en outre l’éclosion, dans plusieurs provinces, de groupes dont l’implantation semble se limiter à la ville qui les a vus naître : par exemple, les « Comités du mouvement populaire à Deir Ezzor », le « Comité de la Paix Civile » à Lattaquié, ou encore le « Comité de la Paix Civile » à al Hassaqa.

Nombre de ces groupes ont, par la force des choses, une implantation et une représentativité des plus limitées. Leur organisation est embryonnaire. Et c’est sans doute la raison pour laquelle Bachar al-Assad lui-même avait décidé, de prolonger d’une semaine, le 19 mars dernier, le délai pour la date-limite de dépôt des candidatures à ces élections législatives. On se rappelle peut-être que les parlementaires syriens « sortants » avaient d’ailleurs demandé au président de repousser la date de cette consultation, peut-être par souci civique, peut-être par instinct de survie. Toujours est-il que l’agence Sana annonçait, le 25 avril dernier, qu’un total de 7 195 candidats – dont 710 femmes – brigueraient les 250 sièges de l’Assemblée du peuple, le 7 mai prochain. Cela fait, a priori, pas mal de postulats par siège disponible : une trentaine…

Le Baas : une vie après l’article 8

Rassemblement pour le 65e anniversaire du Baas, le 7 avril 2012

Surtout, les opposants radicaux accusent ces groupes s’affichant plus ou moins comme d’opposition et officiellement « homologués » par l’administration, comme des émanations pures et simples du pouvoir, qui s’en servirait comme de leurres démocratiques. Ce n’est sûrement pas toujours faux. Mais, on peut dire que la crise a réveillé certaines sensibilités jusques-là « fossilisées » à l’ombre du Baas, de la famille Assad et de l’armée : nationalistes arabes type PSNS, communistes « rénovateurs » comme ceux du Parti de la Volonté populaire, ou restés plus proches du pouvoir comme la tendance « Parti communiste syrien unifié ». Le Baas lui-même, qui doit disposer encore de nombreux fidèles, s’efforce lui aussi de retrouver un peu de la pureté socialiste, nationaliste et révolutionnaire des anciens jours. En février dernier, il a tenu congrès, le 11e de son histoire, pour resserrer les rangs, et tenter de trouver une nouvelle crédibilité. Tout récemment encore – le 7 avril – le parti a rassemblé des milliers de personnes à Damas et dans d’autres villes pour le 65e anniversaire de la création de sa branche syrienne. Et, ne serait-ce que par inertie organisationnelle et historique, il devrait pouvoir présenter des candidats dans l’ensemble des 250 circonscriptions.

Son implantation arrivera-t-elle à contrebalancer le discrédit et l’usure dont il est frappé ? Son influence électorale survivra-t-elle à la disparition de l’article 8 de l’ancienne constitution ? En l’absence de concurrents crédibles de taille, peut-être. La seule question qui vaille est de savoir si les néo-baasistes seront aussi disciplinés ou dociles qu’avant vis-à-vis de Bachar : compte tenu des périls qui sont à la porte, c’est assez probable.

De toute façon les opposants, anciens ou nouveaux, mais tous légalistes, ne vont pas, s’ils sont élus en nombre significatif, jouer les trublions, tant les défis sont énormes : d’abord, tout simplement, la réussite, au moins partielle, du plan de paix Annan, qui prévoit rien moins que la pacification du pays et un dialogue élargi du pouvoir avec toutes les forces d’opposition, CNS compris. Et puis la consolidation des réformes – radicales – mises en route par Bachar lui-même depuis l’été dernier.

Un dernier point : quelle que soit la sincérité de leurs intentions, tous les députés issus de ces élections seront considérés, non seulement par le CNS et les « pro-démocraties » de Facebook et d’ailleurs, mais par les médias et les gouvernements d’Occident, comme des marionnettes ou des alibis de Bachar al-Assad. Ils s’en remettront, l’enjeu étant d’abord de représenter, toutes tendances confondues, les aspirations d’un maximum de Syriens. Malgré leurs lacunes et pour certains leurs fautes, ces partis anciens et nouveaux auront toujours plus de crédibilité que les fanatiques de la Confrérie des Frères musulmans et les marionnettes d’Erdogan et de la CIA comme Burhan Ghalioun et Bassma Kodami, « têtes » du CNS.



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10 commentaires à “Et si on parlait un peu des législatives…”

  1. Mohamed Ouadi dit :

    Les élections législatives sont ce qu’il y’a de plus important, puisqu’elle concrétisent une année de réformes politiques profondes, noyées malheureusement dans l’effusion du sang syrien, comme carburant à une destruction de l’ETAT syrien. Et c’est ce que beaucoup de parties ennemies des syriens veulent contrecarrer, dévier, faire oublier ou discréditer, ou en minimiser l’importance. Souvenons-nous qu’au début du « mouvement populaire », on ne revendiquait, essentiellement, que l’abolition de l’article huit, avant de passer à la revendication occidentale, reliée par ses antennes syriennes manipulées, du départ de Bachar Al Assad.
    Cet article vient vraiment à point nommé, et il serait important de focaliser, ces prochains jours sur cette mutation à laquelle les observateurs onusiens auront l’opportunité d’assister et de consigner, peut-être pour l’histoire, immédiate et future, le déroulement du processus démocratique, et l’expression de la volonté de la Syrie réelle, qui ne cesse de narguer cette autre « Chose virtuelle » appuyée sur des opportunistes, des égarés, des mercenaires et des terroristes, et des pays qui ont leurs agendas spécifiques qui n’ont rien à voir avec les aspirations syriennes.

  2. Mohamed Ouadi dit :

    Dr Ali Haider vient de perdre son fils, tué par des terroristes avec son compagnon. Dans un entretien téléphonique avec la TV syrienne, Ali Haidar, président du Parti Syrien National Socialiste, a déclaré que le sang de son fils, n’est pas plus cher que le sang des autres martyrs syriens qui sont tombés sur le champs national ou qui tomberont. Pour ramener la paix et la stabilité, Haidar s’est dit prêt à se sacrifier et à sacrifier le reste de sa famille, et il a appelé ceux qui portent des armes à revenir à la nation, et a appelé à une grande réconciliation nationale.

    • Jo dit :

      Mais comment les terroristes connaissent-ils l’adresse des personalités Syriennes ,ainsi que leur lieu de fréquentation , généraux , colonels , médecins , ingénieurs ….???

  3. NO PASARAN dit :

    Il ne faut pas oublier de vue également, qu’il y a beaucoup de candidats qui se présentent de manière indépendante. Les partis ne sont pas une « institution » comme chez nous, il y a également une approche différente, plus individuelle.

    • BWANE dit :

      Mais non, les impérialistes-sans toutefois regarder du coté du Golfe-, veulent que tout soit identique à ici, sauf s’il s’agit de salafistes…

  4. Charles dit :

    « Mutatis mutandis, le Baas s’est retrouvé dans la position peu enviable des parti communistes de l’Est européen au moment de l’effondrement général des systèmes soviétiques en 1990. »
    Si c’était vrai, le Baas se serait effondré comme lesdits PC, qui auraient bien été incapables d’organiser de grandes manifestations comme le Baas l’a fait pour son anniversaire. Donc la comparaison ne tient pas.

    « Surtout, les opposants radicaux accusent ces groupes s’affichant plus ou moins comme d’opposition et officiellement « homologués » par l’administration, comme des émanations pures et simples du pouvoir, qui s’en servirait comme de leurres démocratiques. Ce n’est sûrement pas toujours faux. »
    Pardon, mais a priori ce que disent les prétendus opposants est faux. On ne peut exclure des exceptions à cette règle, mais en ce cas il faut des preuves solides.

  5. Alyfa dit :

    il faudra changer tout ce parlement…la situation economique est tres dure..il ne faut pas se cacher la face..on est dans une situation sociale catastrophique et je pense que ce futur parlement doit s attaquer immediatement a l economie du pays car j imagine qu a ce rythme la dans 3 a 4 mois des milliers d entrepises mettront les clefs a la porte..Prions que la paix revienne dans notre pays..MERCI..

    • sowhat dit :

      100% d’accord

    • سوريا.خالدة-Syrie.Eternelle dit :

      L’urgence absolue est la cessation de l’effusion de sang.
      L’économie ne peut redémarrer sans que la sécurité, ou le sentiment de sécurité ne reviennent.

      Cela est vrai de tous les temps et de tous les continents.

      Et, a fortiori, pour la Syrie meurtrie, compte tenu des mesures ignobles, commerciales, financières et industrielles, prises conttre elle, par ses « Amis », du front des Ultra-Sioniste-Associés.

      La lutte contre les auteurs du terrorisme et des assassinats, sera facilitée en cas de réussite des élections législative.

      Cette réussite discréditera ceux qui critiquent les pouvoirs publics syriens dans leur combat contre les barbares, assassins,, mercenaires et semeurs de mort et de malheur.

      Le cynisme de ces « Amis » ne pourra plus continuer de se dissimiuler sous les beaux traits de la liberté ou de la démocratie.

      Et personne n’ignorera plus que ces « Amis » ont soutenus, exhortés, formés, armés et payés, les pouvoirs publics dans la lutte contre les barbares, assassins,, mercenaires et semeurs de mort et de malheur.

      Et je suis profondément indigné, quand j’apprends qu’un Juppé a assuré un assassin libanais, traitre et vendu à Israël, jugé et condamné, mais plus tard « amnistié » par un jeu honteux de marchandages politiques, de sa considération et de ses sentiments amicaux !

      Voila des « Amis » de la Syrie !

Commenter Mohamed Ouadi