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Après le récit d'Alain Soral et de Guy Delorme (voir notre article "Alain Soral et Guy Delorme : ce que nous avons vu à Damas et Hama", mis en ligne les25 et 27 août) nous proposons le témoignage de Gilles Munier sur le "voyage de presse" organisé par des patrons syriens à Damas et Hama les 21 et 22 août derniers. Gilles Munier a longtemps animé les Amitiés franco-irakiennes, et a milité activement contre les deux guerres du Golfe. Sympathisant [...]

"L'opposition laïque craint les Frères musulmans"


Gilles Munier : Damas, Hama & Bachar sur le vif…

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Gilles Munier : partisan mais pas partial

Après le récit d’Alain Soral et de Guy Delorme (voir notre article « Alain Soral et Guy Delorme : ce que nous avons vu à Damas et Hama », mis en ligne les25 et 27 août) nous proposons le témoignage de Gilles Munier sur le « voyage de presse » organisé par des patrons syriens à Damas et Hama les 21 et 22 août derniers. Gilles Munier a longtemps animé les Amitiés franco-irakiennes, et a milité activement contre les deux guerres du Golfe. Sympathisant de la doctrine baasiste, intéressé par les réalisations qu’elle a inspirées, en Irak comme en Syrie, inquiet de l’hégémonisme américain et de ses tentatives de déstabilisation tous azimuts, on ne s’étonnera pas qu’il compte au nombre des défenseurs de l’actuel gouvernement syrien. Ca ne fait pas de son témoignage un morceau d’anthologie propagandiste. 

Munier confirme donc le calme dans la capitale, à cent lieues du climat de guerre civile inventé par la désinformation courante. Il affirme que Bachar demeure largement populaire, plus que son gouvernement. A Hama, il est, lui aussi, témoin de l’incident impliquant une quarantaine de jeunes manifestants anti-régime, constate les dégâts – le commissariat incendié – et aussi la discrétion des forces de l’ordre.

De retour à Damas, Gilles Munier reçoit, comme les autres participants du déplacement, un compte-rendu de l’entretien accordé par Bachar al-Assad à la télévision syrienne lundi soir 22 août. Dans la deuxième partie de son témoignage il en fait une assez longue exégèse : dénonciation des groupes armées et des trafics d’armes qui l’alimentent, refus de céder aux ultimatum euro-américains, débats internes au Baas sur son avenir politique, réformes annoncées ou déjà en cours, Bachar ne semble éluder aucun sujet qui pourrait fâcher. Il se paie même le luxe de critiquer les « carences » de sa presse.

Il est intéressant de s’apercevoir que le président syrien n’ignore rien des graves problèmes économiques et sociaux que traversent ses adversaires d’Occident : « Ils sont plus faibles qu’il y a six ans » va-t-il jusqu’à dire. Quant aux difficultés que pourrait connaître la Syrie suite aux mesures de rétorsion économique américaines et européennes, Bachar assure que son pays connait l’auto-suffisance alimentaire, et que depuis cinq ans il s’est tourné économiquement « vers l’Est ».

En « deuxième » partie, on trouvera un entretien accordé par Munier au site, où il analyse plus en profondeur la crise syrienne, ses origines, ses avatars. Où il s’efforce de faire justice des accusations les plus couramment utilisées contre le régime syrien – corruption, hégémonisme clanique et religieux – en les relativisant à l’échelle du monde entier. Il s’étend aussi sur l’opposition syrienne, souligne ses divisions, et s’étend notamment sur le « jeu perso » – et l’orientation radicale des Frères musulmans, redoutés par nombre d’opposants à Bachar.

 

 

 Impressions & enseignements de mes visites à Damas et Hama

« Damas, 20-21 août 2011 – La Syrie ayant enfin décidé de communiquer sur les graves événements qui l’ensanglantent depuis les premières manifestations anti-gouvernementales à Deraa, près de la frontière jordanienne, j’ai répondu favorablement à l’invitation d’une association de la société civile formée par un groupe de chefs d’entreprise – comprenant Anas al-Jazaïri, arrière-arrière petit-fils de l’Emir Abdelkader – proposant de se rendre compte sur place de la situation. Une centaine de journalistes et de personnalités, parmi lesquelles un ambassadeur des Etats-Unis à la retraite et un ancien ministre de la Justice turc, participaient au voyage. Autant le dire tout de suite, ceux qui connaissent Damas n’y ont pas vu de changement ou ressenti de tensions liées à l’actualité. Les déploiements militaires et policiers dont fait état Al-Jazeera, n’existent que dans les communiqués d’opposants résidant à l’étranger.

Sarkozy, un des pires ennemis de la Syrie

Bien sûr, les troubles qui secouent le pays sont au centre de beaucoup de conversations. Les Syriens veulent savoir ce qu’en pensent les Français et pourquoi Nicolas Sarkozy, qui invitait il n’y pas si longtemps Bachar al-Assad à Paris, est devenu un des pires ennemis de la Syrie. Le retard pris par leur président à réformer le pays est porté au compte des « vieilles barbes » du parti Baas. Il n’entame pas trop son capital de confiance. Tout va se jouer avec la mise en application des lois de démocratisation annoncées. Seront-elles suffisantes pour neutraliser les jusqu’au-boutistes appelant au renversement du régime ? Jusqu’où iront les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, la France, Israël, la Turquie et le Qatar, dans leurs menées déstabilisatrices ? La Russie – remerciée pour sa fidélité sur des calicots accrochés dans Damas – ne sera pas de trop pour court-circuiter la panoplie des embargos occidentaux dont la Syrie est menacée.

Hama, 22 août – Départ en autocar pour Hama, située à environ 200 km au nord de Damas, ville conservatrice et rétive au pouvoir central comme l’est aux éléments le Nahr al-Assi (le Fleuve rebelle) qui la traverse, nom arabe de l’Oronte. Dès les premières manifestations à Deraa, le souvenir du soulèvement de Hama en février 1982, écrasé par Rifaat al-Assad – frère du président Hafez al-Assad – est revenu dans les mémoires. La répression y aurait fait, selon les estimations, entre 10 000 et 20 000 morts. Pour certains observateurs du « Printemps arabe », la question n’était pas tant de savoir ce qui allait se passer à Deraa, mais ce qui adviendrait si Hama se révoltait à nouveau.

« Que le pouvoir s’en aille, que l’ONU intervienne et que l’OTAN vienne… »

Depuis, Hama a eu son compte d’émeutes, de pillages, de meurtres. Le gouverneur de la ville a tenté de résoudre la crise par la négociation. Faute de résultats probants, il a été remplacé. Son successeur a repris le contrôle de la ville manu militari. Il nous reçoit à la préfecture et nous projette une vidéo des rues et bâtiments de Hama, tournée à la fin de la révolte. Vision d’apocalypse !

La suite de notre programme comprend : la visite du palais de Justice incendié et d’un commissariat attaqué par des « terroristes ». Les cars nous attendent. Dehors, surprise : des opposants aussi. Une quarantaine de jeunes, prévenus on ne sait comment, crient des slogans anti-régime. Au carrefour, les militaires en faction derrière des sacs de sable ne bougent pas. Ceux postés sur les toits, non plus. Un policier en civil tente d’arrêter un manifestant qui a été interviewé par une télévision. Ses camarades lui viennent aussitôt en aide… L’agent s’enfuit, poursuivi par quelques irréductibles. Près de moi, une journaliste de télévision indienne demande à une jeune fille en hijab, d’environ 17 ans, quelles sont ses revendications. Elle récite dans un anglais approximatif : « Que le pouvoir s’en aille, que l’ONU intervienne et que l’OTAN vienne ! ». Dommage que la journaliste ne lui ait pas demandé si elle ne trouvait pas risqué de parler à visage découvert, et de dire ce que l’OTAN signifiait pour elle. Une organisation humanitaire, probablement…

Des têtes plantées sur des pics

Les murs du commissariat attaqué par des opposants sont noircis par l’incendie provoqué par une bouteille de gaz transformée en explosif. Sa façade est criblée d’impacts de tirs de gros calibres. Des véhicules calcinés encombrent la cour. Selon les témoignages de jeunes du quartier, les dix-sept policiers pris au piège des flammes, se sont rendus. Des assaillants « venus d’ailleurs » les ont aussitôt égorgés et décapités. Leur tête a été plantée sur des pics et leurs corps jetés dans l’Oronte. La scène, horrible, filmée par des acolytes, a été placée sur You Tube, sans doute pour avertir les fonctionnaires des services de sécurité de ce qui leur arrivera s’ils ne démissionnent pas.
Sur le chemin du retour, le directeur de L’Index, un quotidien de Constantine, reçoit un appel d’Algérie. Un de ses collègues a entendu sur Al-Jazeera que des opposants syriens venaient de tirer sur les cars des journalistes quittant Hama. Il le rassure. L’ex-grande chaîne arabe n’est pas à un coup d’intox prêt depuis qu’elle est devenue la voix de l’OTAN.

D’où viennent les armes ?

Damas, 20h30 – Dans quelques instants, le président Bachar al-Assad s’entretiendra avec des journalistes d’une chaîne de télévision satellitaire syrienne. Répondra-t-il aux questions que tout le monde se pose : qui sont les extrémistes infiltrés dans les manifestations ? Qui les a entraînés ? Certes, détenir une kalachnikov n’est pas rare dans les familles syriennes, mais les armes et les explosifs utilisés ou découverts dans des caches sont récents, modernes et en grand nombre. Les soupçons se portent naturellement en direction de la frontière libanaise, traditionnellement poreuse. Mais, on en est réduit à des supputations : si c’est le cas, les armes proviennent-elles d’Arabie saoudite via les réseaux dits islamistes contrôlés financièrement par Hariri, ou d’Israël via des extrémistes libanais chrétiens liés au Mossad ? Ou encore, font-elles partie de stocks de l’OTAN livrés aux services secrets turcs ? Un peu des trois à la fois, peut-être. Ce qui est certain, c’est que le régime baasiste affronte des organisations lourdement armées qui n’ont que faire des revendications légitimes du peuple syrien.
Damas, 23 août – Avant notre retour dans nos pays respectifs, on nous distribue la traduction de larges extraits de l’interview de Bachar al-Assad, diffusée la veille par la télévision syrienne. Pour le président, la Syrie a été victime d’un complot dont l’objectif est « l’effondrement du pays ». La situation sécuritaire s’étant améliorée, il estime que « l’aggravation des événements ne constitue plus un problème ». Les attaques de postes de police, les assassinats, les embuscades tendues à des bus civils ou militaires ne l’inquiètent pas outre mesure. « Nous sommes capables de traiter ces problèmes comme il se doit ». Il s’agit pour lui d’améliorer la sécurité, étant entendu que la solution des problèmes rencontrés n’est pas d’ordre sécuritaire, mais politique.
Bachar al-Assad évoque la réunion du comité central du parti Baas du 17 août dernier, au cours de laquelle a été discutée la mise en place de mécanismes permettant au parti de « conserver sa position durant les prochaines décennies ». La question de l’article 8 de la constitution syrienne qui fait du Baas le parti dirigeant a été débattue. Son abrogation nécessiterait une révision de la constitution, plusieurs articles lui étant liés.

Des législatives en février prochain ?

Le président syrien énumère les réformes promulguées – fin de l’état d’urgence, lois sur la création de partis politiques, élections pluralistes – et annonce celles à venir : loi sur l’information, création d’une commission qui aura trois à six mois pour réviser la constitution, élections à l’assemblée du peuple en février prochain afin de permettre aux partis nouvellement créés de faire campagne. Il s’inquiète de la marginalisation des jeunes. C’est un phénomène « fort dangereux » dit-il, convenant et qu’ils doivent jouer un rôle grandissant dans la société. Concernant la loi sur l’information, Bachar al-Assad critique les carences de la presse officielle. Il se déclare pour la liberté d’expression, mais opposé à la diffusion de tabloïd people.

Répondant à une question sur le décret accordant la nationalité syrienne aux Kurdes qui ne l’avaient pas, Bachar al-Assad a indiqué que le texte était prêt depuis 2004, mais que son application avait été reportée en raison de troubles survenus à cette époque dans les régions d’Al-Hassaké et de Qamichli. Les Kurdes, rappelle-t-il, sont une des composantes de la Syrie, ils ont lutté contre l’occupant français aux plus hauts niveaux.
Bachar al-Assad est bien conscient que ce premier train de réformes ne satisfera pas les Occidentaux. « Insuffisant » diront aussitôt en coeur les opposants jusqu’au-boutistes ou armés qu’ils soutiennent.

Le peuple syrien ne reçoit pas d’ordres de l’étranger

Chaque fois que l’Occident parle de « droits de l’homme », c’est pour atteindre des objectifs qui n’ont rien à voir avec ces derniers. Les pays occidentaux, dit Bachar al-Assad, « sont responsables des massacres perpétrés aujourd’hui de l’Afghanistan à l’Irak en passant par la Libye… des millions de martyrs, de victimes, d’handicapés, de blessés, de veuves et d’orphelins, sans parler de leur appui à Israël dans ses crimes contre les Palestiniens et les Arabes ». Leur but, affirme-t-il, n’est pas de permettre à la Syrie de se développer, mais de lui retirer ses droits. Il ne démissionnera pas, comme le demandent, entre autres, Barack Obama et Nicolas Sarkozy. Il n’est pas un président fabriqué aux Etats-Unis et le peuple syrien ne reçoit pas d’ordres de l’étranger.
Bachar al-Assad qualifie la relation de la Syrie avec les pays occidentaux de « relation de conflit continuel ». « En temps normal, ils interviennent gentiment pour nous habituer à cette pratique. Aujourd’hui, ils menacent : seule la forme change« , remarque-t-il. Il ne faut avoir peur ni du Conseil de sécurité, ni de la guerre psychologique, assène-t-il, révélant qu’après la chute de Bagdad, un responsable américain était venu lui dire ce qu’il devait faire et qu’ayant refusé, les Etats-Unis lui ont adressé des cartes militaires signalant les cibles qui seraient bombardées en Syrie !

« Nous ne plierons pas » dit Bachar al-Assad

En 2005, après l’assassinat de Rafic Hariri, les Occidentaux ont de nouveau utilisé le Conseil de sécurité pour s’en prendre à la souveraineté de la Syrie, « sous prétexte d’enquêtes ». Les pays occidentaux étaient alors à leur apogée, dit-il, mais nous n’avons pas plié. « Aujourd’hui, ils sont plus faibles qu’il y a six ans. Ils sont traversés par des crises militaire, économique, politique, sociale. Pourquoi plierions nous ?… Nous ne plierons pas !».
Face aux embargos, Bachar al-Assad affirme qu’existent des alternatives dans presque tous les domaines avec des pays voisins ou amis. La Syrie a l’expérience des mesures coercitives. Dès 2005, elle s’est tournée vers les pays de l’Est. « L’essentiel est de ne pas paniquer, dit-il, la Syrie est autosuffisante au plan alimentaire ». Elle « a surmonté dans le passé beaucoup de crises semblables », conclut Bachar al-Assad, et elle en est sortie plus forte.

 

 

 

Gilles Munier : « Ce qui se passe en Syrie a été préparé pour donner un coup d’arrêt aux soulèvements qui, après la Tunisie et l’Egypte, risquaient d’emporter d’autres régimes pro-américains »

 

Gilles Munier développe à présent ses impressions et analyses dans un entretien accordé le 3 septembre au site Que faire(1) et à son animateur Denis Gorteau.

 

-Denis Gorteau : Tout le monde s’accorde à dire que les réformes ont tardé en Syrie. Qu’aurait dû faire Bachar al-Assad pour éviter la crise actuelle ?

-Gilles Munier : Dans la foulée de son arrivée au pouvoir, le président Assad aurait dû faire ce qu’il entreprend aujourd’hui. A l’époque, c’était son intention. Maintenant, il donne l’impression de proposer des réformes avec le couteau sous la gorge, son opposition en profite pour faire de la surenchère et les pays occidentaux jettent de l’huile sur le feu. Mais, quel qu’en soit le motif, il fallait s’attendre à une crise en Syrie, à une énième tentative de déstabilisation. L’administration Obama, comme celle de G.W Bush, veut remodeler le Proche-Orient, c’est-à-dire détricoter les Etats créés par les grandes puissances après la Première guerre mondiale avec les dépouilles de l’Empire Ottoman. Cela passe par ce que les idéologues mondialistes appellent un « chaos constructif et maîtrisé ». Du désordre provoqué, il ne sortira ni l’un ni l’autre, comme c’est le cas en Irak et en Libye. Cela importe peu aux groupes capitalistes mondialisés qui mènent la danse, pour eux l’important est de contrôler les ressources naturelles de la planète et d’occuper des positions stratégiques – la Syrie en est une – dans la perspective de futurs conflits.

Denis Gorteau : Sans minorer les qualités du président, la Syrie n’est-elle pas un pays tenu par une petite minorité de privilégiés comme en Egypte ou en Tunisie avant les révoltes ?

-GM : Dans tous les pays, il y a des privilégiés, à commencer par la France avec les amis de Sarkozy. C’est ce que Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur du président Giscard d’Estaing, appelait « les copains et les coquins ». Les Etats-Unis qui s’autoproclament « la plus grande démocratie mondiale » ne manquent pas de privilégiés, pour ne pas dire de profiteurs éhontés. L’entourage de G.W Bush en était farci. On les a vu à l’oeuvre en Irak. Pourquoi voulez-vous que la Syrie fasse exception ? L’important dans un pays, c’est d’abord le niveau de vie de ses habitants, puis la sécurité, l’éducation, la santé… C’est tout cela que les Occidentaux veulent mettre à bas. La corruption est entretenue par les entreprises occidentales. Elle sape non seulement la confiance des citoyens dans leurs institutions, mais porte atteinte à la sécurité de l’Etat. Corrompre quelqu’un de bien placé permet de le tenir en laisse, d’en faire une source d’information. Quand il ne sert plus, on peut le jeter en pâture à l’opposition.
Mais, soyons clair… En parlant de « minorité privilégiée », vous pensez peut-être aux Alaouites, communauté religieuse à laquelle appartient la famille al-Assad. Pourquoi voudriez-vous, là encore, que la Syrie fasse exception ? Partout dans le monde, les minorités ont tendance à faire bloc, à privilégier leurs membres. Dans les pays occidentaux, les musulmans ne sont pas encore organisés en groupe de pression, mais c’est le cas – entre autres – des juifs, des évangélistes, ou des catholiques (aux Etats-Unis, par exemple). En Syrie, il n’y a pas que des Alaouites – environ 12% de la population – aux postes de responsabilité, même s’ils sont nombreux. Ils ne sont pas tous baasistes d’ailleurs, et parmi ces derniers tous ne soutiennent pas Bachar al-Assad. Je ne pense pas que l’on puisse diriger un pays comme la Syrie sans établir un savant et juste équilibre entre les différentes communautés religieuses et ethnies qui le composent.

Denis Gorteau : Il semble acquis que des groupes armés ont délibérément mené la politique du pire en visant les forces de l’ordre, mais a plupart des manifestations ne furent-elles pas pacifiques et populaires ?

-GM : Ce qui se passe en Syrie a été préparé pour donner un coup d’arrêt aux soulèvements qui, après la Tunisie et l’Egypte, risquaient d’emporter d’autres régimes pro-américains. A Deraa, les manifestants étaient, dans leur immense majorité, des gens pacifiques. Leurs revendications étaient légitimes, mais elles auraient pu être exprimées autrement. Quand des agents provocateurs infiltrés dans les cortèges ont tiré sur les forces de l’ordre, ces dernières ont répliqué comme elles le font partout dans le monde. L’armée et la police ne tirent pas par plaisir sur leur propre peuple. Ensuite, il y a eu un phénomène d’engrenage, des émeutes, des pillages. Il y a eu beaucoup de morts des deux côtés… trop. Quand un de vos parents a été tué et qu’al-Jazeera, nouveau porte-parole de l’OTAN, affirme ex nihilo qu’il a été assassiné par le régime, vous ne pensez qu’à descendre dans la rue et à vous venger. Vous réclamez « le prix du sang ». Bachar al-Assad a annoncé que des enquêtes étaient ouvertes, que « toute personne ayant commis un crime contre un citoyen syrien, que ce soit un civil ou un militaire, rendra des comptes ». Mais, est-ce encore possible vu le nombre des victimes ?

-Denis Gorteau : Qui compose l’opposition syrienne ? Quelle est la position des communistes ? Des Frères Musulmans ?

-GM : Je ne suis pas un spécialiste de l’opposition syrienne, mais je crois nécessaire de faire la différence entre l’opposition extérieure souvent coupée des réalités du pays, et l’opposition intérieure. A l’étranger, des personnalités et des groupuscules se réunissent, forment des coordinations, signent des manifestes, ouvrent des pages Facebook. On assiste à un combat de chefs. En août, une Instance générale de la révolution syrienne, affirmant regrouper 44 groupes et comités de coordination, a estimé que la profusion d’organismes et de réunions nuit à l’image de l’opposition, et des Comités Locaux de Coordination ont rendu publique une « Déclaration du Peuple Syrien » mettant en garde contre les appels aux armes ou une intervention étrangère lancés par certains contestataires. Dernièrement, des opposants ont créé un… Conseil national de transition (CNT) ! Ils ont élu à leur présidence, sans le consulter, Burhane Ghalioun, professeur de sociologie politique à la Sorbonne. Cet intellectuel qui se méfie de BHL comme de la peste, a signé en juillet dernier un appel demandant au pseudo philosophe, de lui « épargner son soutien ». Il trouve par ailleurs qu’appeler CNT la nouvelle organisation, est du plus mauvais effet.
A gauche, les communistes syriens sont divisés en deux ou trois tendances concurrentes. L’une d’elles, membre du Front national progressiste regroupant notamment le parti Baas, les Nassériens et le Parti social nationaliste syrien (fondé par Antoun Saadé), déclare qu’il faut « écouter les revendications populaires, promouvoir des réformes démocratiques, refuser les manipulations extérieures ». Une des figures historiques du PC syrien ayant évolué vers des idées plus libérales, Riad al-Turk – 79 ans, totalisant 17 ans d’emprisonnement – soutient aussi les revendications des manifestants. En 2005, il réclamait un « changement démocratique et radical » de façon  « pacifique et graduelle ». Il trouve que les réunions organisées « à la hâte » à l’étranger ne sont pas utiles dans la phase actuelle et que le caractère islamique qui y prévaut « n’est pas au diapason de la diversité de la société syrienne ».
Les Frères musulmans sont la principale force d’opposition à l’étranger. Ils sont plus radicaux que leurs homologues égyptiens et très retors. L’opposition laïque les craint. En août, ils ont créé un Conseil national à Istanbul. Objectif : augmenter la pression sur le régime baasiste et le détruire. Ils sont soutenus en sous-main par la Turquie et sans doute par Saad Hariri. En 2006, des documents publiés par WikiLeaks révélaient que Hariri exhortait la « communauté internationale » à isoler Bachar al-Assad et réclamait son remplacement par une alliance comprenant les Frères musulmans, et d’anciens responsables syriens comme l’ancien vice-président Abdel Halim Khaddam, réfugié à Paris. Le quotidien Al-Akhbar accusait un de ses proches de financer le mouvement de contestation. Aujourd’hui, il ne semble plus question pour les Frères musulmans de participer à des élections démocratiques comprenant le parti Baas et les communistes, comme le souhaitait en 2005 Issam Al-Attar, leur ancien leader réfugié à Aix-la-Chapelle.
La politique actuelle du « tout ou rien » des Frères musulmans et d’une partie de l’opposition syrienne est dangereuse pour l’avenir de la Syrie. L’OTAN n’attend qu’une occasion pour casser le pays au nom des droits de l’homme et de la protection des civils. C’est aussi ce que souhaitent les extrémistes d’Al-Qaïda au pays de Cham ou de Jund al-Cham, mais au nom de leur interprétation du Coran ou d’ordres reçus d’ailleurs.


(1) http://quefaire.e-monsite.com/rubrique,g-munier-parle-mars-2011,369230.htm




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9 commentaires à “Gilles Munier : Damas, Hama & Bachar sur le vif…”

  1. marip dit :

    Aux dernières nouvelles reçues par téléphone hier , seule la ville de Homs connait des problèmes : des groupes armés attaquent les fonctionnaires,les alaouites et les chrétiens .
    Le reste du pays est calme .Je conseille à tous ceux qui doutent d’un complot de lire le livre dont vous avez parlé  » quand la Syrie s’éveillera »

  2. joujou dit :

    excellent article, mais just une information supplementaire: beaucoup de directeurs generaux de l’administration syrienne ne sont pas alawit, les grands hommes d’affaires syriens sont sunnite,….etc
    desole de parler de cette facon car en syrie on a pas l’habitude de parler religion et sectes et on se considere tous syrien.
    c’est pour cette raison qu’on peut comprendre la position de notre ecrivain Adonis qui refuse de voir sa ville natale divisee et, les gens qui commence a se classer selon leur appartenance religieuse.
    vive la syrie.

    • Christian dit :

      Exactement! Nous sommes TOUS Syriens… la religion est secondaire.

      • Etudiant dit :

        Vous êtes pourtant toujours là pour la mettre en avant quand ça vous arrange…
        Mais comme le disent si bien les manifestants : uni uni uni, le peuple syrien est uni.

        • MS dit :

          Vous voulez dire comme ceux là

          http://www.youtube.com/watch?v=F_b2dNOdSgM&feature=related

          On y voit un homme seul sans armes(qq soit sa « faute ») tabassé par un gang de démocrates puisqu’il est soi disant « chabbih ». Personnellement, les seuls chabbiha que j’ai vu dans la vidéo sont ceux qui le tabassent et ceux qui en sont contents …
          par la suite, les manifestants scandent le slogan « Le peuple syrien est un » mais écoutez bien vers la fin où ils disent: « Ni Iran ni Hezbollah, nous voulons un sunnite qui craint Dieu »

          Bien sûr ils savent bien le sens de l’unité du peuple syrien ces gens là …

      • Cécilia dit :

        Nous sommes tous syriens… et la religion est une affaire personnelle.

  3. Moad dit :

    pauvre mari
    et les morts à Rastan , talbisseh , idlib , Hama , c’est calme ça 😀 ?

    tu me rapelles une vidéo où une journaliste dit que tout va bien alors que derri-re y’a des chars de chabbihas qui vont réprimer les manifestations

    et monsieur Gilles , aucune personne jusqu’a aujourd’hui n’a été condamné pour la répréssion 😉 , aucun , même avec preuve sur la vidéo de Bayda où des gens sont torturés 😀

    donc , c’pas parce que tu veux pas que le régime tombe , qu’il tombera pas , des centaines de milliers sortent défiant la mort , la torture 😉 !

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