• Décryptage
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Voici la traduction d’un article paru sur le site internet du journal turc Radikal en date du 16/06/2011 et relatif aux sanglants incidents de Jisr al-Choughour, qui ont particulièrement défrayé la chronique internationale, le plus souvent dans une interprétation défavorable au régime de Damas. Ce reportage a été fait au moment où les forces syriennes ont pu chasser les insurgés armés de Jisr. Les journalistes turcs y corroborent globalement la version des autorités syriennes, en s'appuyant sur leurs investigations dans [...]

"Lors de nos entrées dans certains villages du gouvernorat nous avons rencontré un vif intérêt des habitants. Les témoignages des habitants de la ville qui sent le sang et la brûlure (Jisr, Ndlr), avaient pour caractéristique de contredire la majeure partie des allégations sur ce qui s'est passé à Cisr Es Sugur."


A Jisr al-Choughour, des journalistes turcs confirment la version des autorités syriennes

Par Pierre Marulaz,



Voici la traduction d’un article paru sur le site internet du journal turc Radikal en date du 16/06/2011 et relatif aux sanglants incidents de Jisr al-Choughour, qui ont particulièrement défrayé la chronique internationale, le plus souvent dans une interprétation défavorable au régime de Damas. Ce reportage a été fait au moment où les forces syriennes ont pu chasser les insurgés armés de Jisr. Les journalistes turcs y corroborent globalement la version des autorités syriennes, en s’appuyant sur leurs investigations dans Jisr et les villages avoisinants : à chaque fois, semble-t-il, les habitants ont accueilli les soldats syriens comme des libérateurs. Et l’ensemble des témoignages recueillis par ces journalistes – ressortissants d’un pays dont le gouvernement vient d’adopter une ligne plutôt hostile à Damas – conclut à l’implication de groupes armés et impitoyables, que seule la force a pu contraindre à faire cesser leurs exactions. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce compte-rendu ne va pas du tout dans le même sens que la version officielle – et quasi-obligatoire – diffusée par les médias occidentaux.

 

Deux des 120 soldats ou policiers tués à Jisr par les activistes salafistes

Deux des 120 soldats ou policiers tués à Jisr par les activistes salafistes

CISR ES SUGUR – La ville de Cisr Es Sugur (Jisr al-Choughour, Ndlr), à 40 km de la frontière turque, où il y a deux semaines 120 membres des forces de sécurité ont été tués, connait actuellement les jours les plus sanglants du « printemps arabe ». Après cet incident (le massacre des 120 policiers syriens, Ndlr) les soldats syriens qui assiégeaient la ville,  sont entrés, en début de semaine, dans Cisr avec des chars.

Les habitants de la ville ont quitté leurs maisons, craignant un massacre. Mais personne n’arrive à savoir exactement ce qui s’est passé dans ville. Les journalistes d’Agence Anatolie (Anadolu Agence) et de TRT (Télévision Radio Turque) ont néanmoins pu entrer dans la ville de Cisr Es Sugur.

Les impressions des journalistes sont cependant de nature de faire la lumière sur ce qui s’est vraiment passé :

Des chars nous ont accueilli…

Dès l’entrée de la ville devenue « ville fantôme » et où les traces du conflit sont visibles partout, un grand nombre de chars, des véhicules militaires et des troupes sont là. Nous nous rendons à notre première destination, un bâtiment qui est utilisé comme « QG de sécurité « , conscients du fait que les soldats nous imposeront des limites dans l’exercice de notre métier. Les officiers supérieurs qui mènent des opérations dans la région environnante nous ont dit qu’en raison des événements survenus dans le pays, ils ne voulaient pas que nous photographions les visages des soldats, ce qui pourrait mettre leur vie en péril. On nous a dit qu’en dehors de ceci, aucune restriction n’interviendra, nous pourrons aller où nous voulons et faire des reportages, et que nous pourrons travailler dans la ville autant que nous le souhaitons.

Dans la ville où pour des raisons de sécurité nous n’avons pas pu passer la nuit, nous nous sommes déplacés en compagnie de quelques véhicules d’escorte et d’un grand nombre de soldats, et lors de nos entrées dans certains villages du gouvernorat nous avons rencontré un vif intérêt des habitants. Les témoignages des habitants de la ville qui sent le sang et la brûlure (Jisr, Ndlr), avaient pour caractéristique de contredire la majeure partie des allégations sur ce qui s’est passé à Cisr Es Sugur.

Tous les édifices publics sont détruits

Le bureau du poste de la ville, l’hôpital, la banque et tous les bâtiments appartenant à l’appareil judiciaire ont été rendu inutilisables, soit durant la reprise de la ville soit durant les trois jours où les groupes armés en avaient pris le contrôle. Dans le bâtiment du renseignement militaire où l’un des incidents violents de Cisr est survenu, et où 72 soldats ont perdu la vie, une odeur âcre de brûlé et de sang séché, qui se fait sentir en de nombreux endroits, parle clairement de l’horreur vécue là.

Soldats décapités

Devant le bâtiment, dont une partie a été dynamitée, et qui porte les traces de milliers des balles, il y a des véhicules complètement brûlés. Dans le jardin il reste un grand nombre de cocktails Molotov et des douilles de balles provenant de différents types d’armes.

Grace à de nombreuses taches de sang séché nous pouvons voir où chaque soldat a été tué, mais c’est surtout l’endroit où quelques soldats blessés ont trouvé refuge avant d’être décapités, situé dans une petite salle du bâtiment , qui est terrifiant.

Il reste des affaires privées et du sang coagulé en une épaisse couche et provenant du cadavre, jeté dans une poubelle devant le bâtiment, de l’un des soldats. Des soldats qui, selon les témoignages, ont attendu du renfort pendant deux jours. Selon les témoignages des habitants, la tête décapitée du chef de l’unité de renseignement militaire a été piquée au bout d’un perche et exposée pendant trois jours sur la place de la ville.

Sur l’ensemble des édifices publics des traces de balles et des taches de sang séché sont encore visibles. Le palais de justice dont la salle des archives a été dynamitée pour faire disparaitre les dossiers judiciaires, et une banque mise à sac dont les distributeurs des billets et le coffre fort ont été ouverts à l’explosif, ont subi des dégâts lourds et sont inutilisables.

Cadavres dans l’Oronte

Sur le pont sur le fleuve l’Oronte qui traverse la ville, il reste une partie des barricades formées avec des pneus. Sur le pont et au bord du fleuve les traces sanglantes des corps mutilés par des groupes armés, sont encore visibles. Quand on avance sur le pont l’odeur du sang qui se lève du fleuve à certains endroits devient très âcre.

On nous a indiqué qu’une partie des cadavres, parmi lesquels il y avait aussi celui d’une fille de 9 ans, jetés depuis le pont ont été repêchés mais les autres entrainés par le courant du fleuve, qui coule vers la Turquie, n’ont pu être retrouvés.

Nous avons essayé de retrouver deux femmes qui auraient été violées ainsi que la famille d’une petite fille qui aurait été violée, elle aussi, par les groupes armés dans un village près de la ville. Cependant, un proche de la famille, qui ne voulait pas faire des déclarations publiques à la presse, nous a expliqué que les hommes armés sont entrés de force dans les maisons et là ont violé la jeune fille qui a 7 ans. Dans la ville et les villages environnants que nous avons visités pendant deux jours nous n’avons pas vu la moindre trace qui confirmerait les allégations selon lesquelles l’armée a ouvert le feu avec les chars (sur les habitants, Ndlr).

Les soldats ont été accueillis avec joie

Durant nos déplacements, selon des itinéraires choisis au hasard, l’intérêt intense manifesté par les habitants aux soldats qui nous ont accompagnés, parmi lesquels il y avait aussi des officiers supérieurs, nous a surpris. Jusqu’à présent, dans les villages où même les médias syriens ne sont pas allés, les témoignages des habitants souvent en pleurs, les supplications aux soldats de ceux qui ont des proches toujours portés disparus pour qu’ils les trouvent, les récits sur l’horreur vécue sont en complète contradiction avec l’opinion commune répandue sur les événements survenus dans la ville.

A un endroit où il y a quelques villages rapprochés les uns des autres, les habitants ont bloqué le convoi de véhicules dans lequel nous avions pris place. Le nombre des habitants qui se sont agrégés au convoi a dépassé les 2 000. Dans un village où les soldats venaient pour la première fois, les habitants ont entouré le véhicule des officiers supérieurs et leur ont fait une offrande (sacrifice d’un animal). Quelques heures plus tard un festin, auquel nous avons aussi participé, était préparé avec l’offrande.

Le danger persiste

Le jour de notre retour en ville (Jisr al-Choughour, Ndlr) nous sommes allés à la boulangerie pour la filmer : elle avait réouvert. Le jour même, un des employés de la boulangerie a été identifié comme appartenant au groupe qui a terrorisé la ville pendant trois jours. A cause des membres de ces groupes armés, qui dans la journée poursuivent une vie normale et qui la nuit lancent des attaques en cachant leur visages, le danger persiste en ville.

Dans Cisr et les villages environnants, où les gens ont commencé lentement à émerger de leurs maisons, la peur ressentie, à cause du choc des événements toujours prégnants et des membres des groupes armés demeurés cachés, frappe notre attention. Après l’entrée de l’armée dans la ville, celle-ci a encerclé une vaste zone où se sont enfuis les membres des groupes armés.

La nature des groupes armés

L’insurrection armée dans la région est, tant aux yeux des habitants que de ceux des responsables de la ville, une « rébellion salafiste »… Aucun conflit confessionnel entre les habitants n’est palpable. Il n’y a pas non plus de confrontation confessionnelle avec les villageois qui ont accueilli les soldats avec joie. Selon certains, il se peut qu’il y ait aussi des membres de groupes armés parmi ceux qui ont fui vers la frontière turque après les événements.

 



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