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L’ambassadeur M. K. Bhadrakumar a été une figure importante de la diplomatie indienne. Parmi ses affectations : l’Union Soviétique, la Corée du sud, le Sri Lanka, l’Allemagne, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie. Il donne ici son analyse d'une récente manoeuvre navale américaine en mer Noire : le Pentagone envoie un signe - menaçant - à la Russie pour la punir de son refus de voir la Syrie sanctionnée à l'ONU. Et au-delà, c'est la [...]



Complot contre la Syrie : Navires de guerre américains en mer Noire

Par M. K. Bhadrakumar,



L’ambassadeur M. K. Bhadrakumar a été une figure importante de la diplomatie indienne. Parmi ses affectations : l’Union Soviétique, la Corée du sud, le Sri Lanka, l’Allemagne, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie. Il donne ici son analyse d’une récente manoeuvre navale américaine en mer Noire : le Pentagone envoie un signe – menaçant – à la Russie pour la punir de son refus de voir la Syrie sanctionnée à l’ONU. Et au-delà, c’est la base navale russe de Tartous, sur la côte syrienne, qui se trouve dans la ligne de mire américaine. Sans oublier l’isolement ou l’affaiblissement des ennemis d’Israël, de Damas à Téhéran en passant par Beyrouth. Une analyse fine, peut-être exagérement pessimiste.

Il est rare que le ministre russe des Affaires étrangères choisisse un dimanche pour faire une déclaration officielle. A l’évidence, quelque chose d’extrêmement grave pousse Moscou, dans l’urgence. Ce qui en est à l’origine est l’apparition d’un croiseur lance-missiles américain dans la mer Noire : le croiseur USS Monterrey équipé du système de défense anti-aérien AEGIS prend part à des exercices conjoint Ukraine-USA : Sea Breeze 2011 (Brise de mer 2011). Il n’y a, a priori, rien d’extraordinaire à un exercice naval américano-ukrainien.

L’année dernière, également, un exercice avait eu lieu. Mais comme le déclare Moscou : « Alors qu’est laissée de côté la question non réglée de l’éventuelle architecture du bouclier anti-missiles européen, la Russie voudrait savoir, conformément aux décisions Russie-OTAN du sommet de Lisbonne, quelle « aggravation » le commandement américain veut signifier en déplaçant l’appareil de frappes de base du groupement régional de défense anti-missiles, formé par l’OTAN dans la région, de la Méditerranée vers l’Est ? ».

La déclaration du ministre des Affaires étrangères se poursuit en donnant sa propre explication, selon laquelle le Monterrey a été envoyé dans les eaux européennes comme un élément de l’ »approche adaptative progressive de l’administration américaine dans la construction du segment européen d’un bouclier anti-missiles global« . La première étape du programme prévoit le déploiement d’un groupe de navires de guerre américains dans l’Adriatique, la mer Egée et la Méditerranée pour protéger le sud de l’Europe d’une éventuelle frappe de missiles.

Selon le ministre, le rôle des missiles des navires de guerre américains dans le cadre des exercices anti-piraterie « Sea Breeze 2011 » reste trouble. « Nous devons dire que nos préoccupations continuent d’être ignorées et que, sous le couvert de négociations, des tentatives sont en cours pour établir la configuration du bouclier anti-missiles, dont les conséquences sont dangereuses, ce dont nous avons avisé de nombreuses fois nos partenaires américain et de l’OTAN », ajoute la déclaration russe.

Derrière la Syrie, le Russie dans le collimateur

Les Etats-Unis déclarent qu’il s’agit d’exercices navals de routine. De son côté, Moscou demande : « S’il s’agit d’un déplacement ordinaire, alors pourquoi un navire de guerre avec ce type d’armement a été choisi pour un mouvement vers cette région si sensible ? » Sans aucun doute, les Etats-Unis intensifient la pression sur la flotte russe de la mer Noire. La provocation américaine se déroule dans le contexte des troubles en Syrie. La Russie bloque opiniâtrement les tentatives américaines de susciter l’occasion d’une intervention en Syrie, du type de celle en Libye. Moscou a compris qu’une des raisons majeures des Etats-Unis de pousser à un changement de régime en Syrie est d’obtenir la liquidation de la base navale russe dans ce pays [NdT : base navale de Tartous]. La base syrienne est la seule implantation que possède la Russie en Méditerranée.

La flotte de la mer noire repose sur la base syrienne pour assurer une présence effective de la marine russe en Méditerranée. Avec l’établissement de bases navales en Roumanie et l’apparition de navires de guerre américains en mer Noire, l’arc de l’encerclement se resserre. C’est un jeu du chat et de la souris, où les Etats-Unis ont le dessus. Officiellement, le régime dirigé par Bachar al-Assad est répressif, puisque presque chaque jour nous parviennent des informations selon lesquelles toujours plus de massacres ont lieu. Mais les informations occidentales restent complètement silencieuses sur l’aide obtenue de l’extérieur par l’opposition syrienne.

Personne n’est intéressé à envisager ou à questionner, par exemple, sur les circonstances de « l’incident » dans lequel 120 membres des forces de sécurité syrienne ont été tués par balles. L’implication occidentale, saoudienne, israélienne et turque dans les troubles en Syrie est presque claire comme du cristal, mais ceci est au-delà de la zone de discussion quand on parle des « troubles » en Syrie. En bref, la Russie a perdu la guerre de l’information sur la Syrie. Désormais, son dilemme consistera à être perçue comme illogique et faisant obstacle au louable processus de démocratisation en cours en Syrie et à l’éclosion du « Printemps arabe ».

Moscou a été claire sur le fait qu’elle ne tolèrera pas une résolution sur la Syrie au Conseil de sécurité des Nations Unies, peu importe sa formulation ou son contenu. Elle a aussi voté contre la tentative de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (A.I.E.A.), la semaine dernière, d’ouvrir un dossier nucléaire sur la Syrie – semblable au dossier iranien – devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Le dilemme de Moscou est qu’elle ne peut pas expliquer ouvertement son point de vue sur l’agenda géopolitique américain à l’égard de la Syrie. Une telle explication révèlerait le vide du renouvellement des relations américano-russes, pour laquelle le Kremlin, sous le président Dimitri Medvedev, a pourtant assidument travaillé. Mais Washington ne va pas laisser filer non plus la Russie.

Renverser Bachar pour affaiblir le Hezbollah, et l’Iran

Washington est persuadée qu’elle va resserrer le nœud autour du cou d’Assad. Pour le dire simplement, les USA veulent que la Russie lâche la Syrie pour que l’Ouest puisse l’attaquer. Mais la Russie sait que la suite sera la fermeture de sa base navale par un régime pro-occidental qui aura succédé à Assad. Les enjeux sont très importants. L’année dernière, le second du renseignement militaire russe a été tué dans des circonstances mystérieuses alors qu’il inspectait la base navale de Syrie. Son corps a été retrouvé en train de flotter dans la Méditerranée, au large des côtes turques. Cela pour dire que de nombreuses agences de renseignement sont impliquées dans la tourmente syrienne. D’abord et avant tout, un changement de régime en Syrie est devenu absolument crucial pour rompre l’isolement régional d’Israël.

L’espoir américano-israélien est de casser le soutien au Hezbollah, ce qui ne se fera qu’à la condition de renverser le régime d’Assad à Damas et de mettre fin à l’alliance syro-iranienne. De plus, un changement de régime à Damas forcerait le leadership du Hamas à évacuer Damas. Le chef du Hamas [NdT : de la branche militaire], Khaled Mechaal, vit à Damas sous la protection de Assad depuis plusieurs années. L’un dans l’autre, par conséquent, n’importe quel mouvement sur le processus de paix israélo-palestinien en faveur des positions israéliennes ne sera possible que si les USA et Israël cassent le noyau dur syrien.

Washington et Tel Aviv ont essayé de persuader la Russie de s’aligner et d’accepter leur défaite sur la Syrie. Mais Moscou est resté collée à ses revolvers. Et maintenant en envoyant un navire de guerre dans la mer Noire, les USA ont signalé qu’il ferait payer à la Russie le prix de son obstination et de ses prétentions comme puissance méditerranéenne et moyen-orientale. Le résultat des élections législatives en Turquie, qui assure un nouveau mandat au parti « islamiste » dirigeant AKP (Parti de la Justice et du Développement) a renforcé significativement les positions américaines sur la Syrie. Ankara a durci le ton sur Assad et a commencé à le critiquer ouvertement.

La Turquie et les sirènes américano-saoudiennes

On peut s’attendre dans les semaines qui viennent à un jeu turc plus intrusif dans la déstabilisation d’Assad et le changement de régime à Damas. Ironiquement, la Turquie est aussi le pays qui contrôle le détroit du Bosphore. En intensifiant ses relations avec la Turquie dans la décennie passée, Moscou a espéré qu’Ankara irait progressivement vers une politique étrangère indépendante. Les attentes du Kremlin étaient que les deux pays s’entendraient pour régenter ensemble la mer Noire. Mais avec le déroulement des évènements, il est devenu clair qu’Ankara revient à ses anciennes priorités comme pays de l’OTAN et comme partenaire prééminent des USA dans la région. Ankara ne peut-être blâmée, elle a fait une évaluation fine et en a tiré la conclusion que ses intérêts seraient mieux servis en s’identifiant au jeu occidental de réaliser un changement de régime en Syrie. De plus, Ankara trouve rentable de rejoindre l’approche des Saoudiens quant au bouleversement du Moyen-Orient.

Les riches arabes des pays pétroliers du golfe persique sont prêts à envoyer leur « argent vert » vers la Turquie. Ankara partage également les craintes saoudiennes à propos de l’émergence de l’Iran comme puissance régionale. En somme, les USA obtiennent doucement mais régulièrement le dessus concernant leur projet d’un renversement de régime à Damas. Est-ce que Moscou s’inclinera sous l’immense pression et acceptera un refoulement de son influence en Syrie, c’est la grande question. Moscou a menacé de s’associer avec Pékin et d’adopter une position commune sur la Syrie. Mais la capacité de Moscou à contrer le bulldozer américain sur la Syrie s’affaiblit de jour en jour. La trajectoire des évènements en Syrie aura certainement un impact profondément négatif sur le renouvellement des relations amércano-russes.

L’administration Obama semble avoir fait ses calculs et a conclu que le prix valait d’être payé dans le souci d’assurer la sécurité d’Israël. Le navire de guerre qui naviguait dans la mer Noire apportait un message clair à la Russie : elle doit accepter de n’être plus que l’ombre pâle de l’ancienne Union soviétique.

Traduit par Kinan Alkurdi pour Algerie Network 15 juin 2011

Source : Comité Valmy



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2 commentaires à “Complot contre la Syrie : Navires de guerre américains en mer Noire”

  1. Yazan dit :

    La Turquie peut réserver des surprises car elle n’est pas à l’abri de cette vague de soulèvements, voire d’une guerre civile qui permettrait à son peuple de se libérer de son armée pro-israélienne et du contrôle par l’OTAN. Et l’accès à la mer par le Bosphore basculera en faveur de la Russie. Insh’Allah.

  2. louchka dit :

    Et quand Poutine fera péter les bombes atomique qui n’ont pas encore exploser, l’occident le suppliera d’arrêter.

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