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Alain Corvez,  (21/5/11) Colonel du cadre de réserve, conseiller en stratégie internationale, Alain Corvez est un spécialiste des questions de terrorisme et de géopolitique. Il a notamment pris position contre le retour de la France dans l'organisation militaire de l'OTAN et contre la participation de notre pays au conflit afghan. Il décrypte ici les raisons et les modalités de la campagne actuelle de désinformation et de déstabilisation menée autour de et contre la Syrie. A l’image des révolutions « orange » ou d’autres [...]

"Il est clair que la masse du pays soutient les dirigeants nationaliste laïcs actuels, même si elle aspire à plus de libéralisme économique et politique, à davantage d’emplois et à un meilleur niveau de vie"


La Syrie, objet de toutes les attaques

Par Alain Corvez,



Alain Corvez,  (21/5/11)

Colonel du cadre de réserve, conseiller en stratégie internationale, Alain Corvez est un spécialiste des questions de terrorisme et de géopolitique. Il a notamment pris position contre le retour de la France dans l’organisation militaire de l’OTAN et contre la participation de notre pays au conflit afghan. Il décrypte ici les raisons et les modalités de la campagne actuelle de désinformation et de déstabilisation menée autour de et contre la Syrie.

A l’image des révolutions « orange » ou d’autres couleurs qui, au nom de la démocratie érigée en valeur suprême et universelle, visaient en Europe orientale, dans le sillage de l’effondrement du communisme soviétique, à renverser des pouvoirs même élus démocratiquement mais qui n’étaient pas favorables à ce qu’on appelle « l’Occident », autant dire les Etats-Unis d’Amérique, les révolutions arabes dites du « jasmin » ou « printanières » utilisent l’aspiration sincère des populations à l’égalité, la justice, la fin du népotisme, et surtout à des emplois pour pouvoir vivre décemment, pour renverser les régimes qui contestent la vision américaine du monde et notamment du règlement du conflit israélo-palestinien.

Les ONG des droits de l’homme contrôlées par des Etats ou des multinationales

De nombreuses organisations internationales, non gouvernementales, brandissant l’étendard des droits de l’homme ou de la démocratie, agissent en réalité grâce aux soutiens multiples des Etats-Unis, pour déstabiliser les régimes considérés comme hostiles à Washington, s’appuyant sur quelques revendications légitimes des populations.

Lors d’un colloque récent à l’Assemblée Nationale sur ce sujet, un représentant des services français indiquait qu’ils avaient un inventaire de ces organisations soucieuses du bien de l’homme qui montrait que 70% d’entre elles étaient contrôlées par des Etats ou des multinationales. Le député Bernard Carayon précisait quelques minutes plus tard qu’en réalité 100% des plus importantes étaient dans ce cas.

L’amiral Lacoste me disait juste avant le colloque que les Etats-Unis avaient une longue expérience de l’utilisation d’ennemis pour combattre d’autres ennemis, depuis leur soutien aux islamistes afghans contre les Soviétiques, et qu’Israël en suscitant la création du Hamas pour contrer le Fatah avait fait de même. Les ONG soutenues par Washington utilisent aujourd’hui les slogans des droits de l’homme qui permettent à des islamistes de se glisser dans la peau de démocrates.

Il ne faut d’ailleurs pas faire d’amalgame trompeur entre les salafistes du Machrek et ceux du Maghreb qui n’ont ni les mêmes motivations ni les mêmes ambitions, ni les mêmes modes opératoires. L’Arabie Saoudite, alliée de l’Amérique et en accord avec elle, soutient depuis des années les groupes extrémistes musulmans qui permettent les interventions américaines – ce qui a d’ailleurs failli se retourner contre elle lors du 11 septembre 2001 – et notamment les organisations salafistes hostiles au Baas, le parti laïc au pouvoir en Syrie.

 

Désinformation sur Al-Jazeera et Al-Arabiya

Les moyens modernes de communication, l’Internet et les SMS permettent de développer rapidement des slogans revendicatifs réalisant ainsi une « agit-prop », une propagande, qui n’a jamais été aussi efficace. Elle ne fut cependant pas suffisante en Libye, ce qui a nécessité de la part des Occidentaux cette calamiteuse intervention militaire sous le faux prétexte de protéger les civils : celle-ci finira sans doute par chasser Kadhafi du pouvoir, mais après bien des difficultés et des tragédies humaines, car l’expérience prouve qu’il avait des soutiens importants,  et elle débouchera de toute façon sur un vide politique qui mènera à la partition du pays et à son cortège de catastrophes.

Les médias arabes les plus importants comme Al-Jazeera et Al-Arabiya, associés, contrairement à ce que l’on croit, aux intérêts américains, diffusent des images, authentiques ou transformées, soutenant les révoltes quand elles vont dans le sens de leurs objectifs, ou les passant sous silence dans le cas inverse. Ensuite, l’AFP et les autres agences occidentales n’ont qu’à reprendre ces images en les agrémentant de témoignages de « militants des droits de l’homme ». Tel est le modus operandi basique de la désinformation made in USA.

La Syrie est l’objet de toutes les attaques, notamment américaines, car le régime baasiste a depuis toujours soutenu la cause arabe en accueillant les Palestiniens exilés, respecté la culture musulmane du pays mais combattu fermement l’islam politique radical, et cherché à rassembler des communautés diverses, sunnites, chiites, alaouites, chrétiennes, druzes, kurdes, en une nation au destin commun.

Depuis qu’il est arrivé au pouvoir sans l’avoir recherché, le jeune Président Bachar el-Assad, a annoncé et décidé qu’il voulait réformer le pays pour l’adapter aux temps modernes et s’il a pu réaliser certaines réformes dans les domaine de l’économie, de la finance, de l’administration, les évènements extérieurs pressants comme l’assassinat en février 2005 du Premier ministre libanais Rafic Hariri dont son pays fut aussitôt accusé, la guerre israélo-libanaise de juillet-août 2006 et d’autres, ont gêné et retardé cette bonne volonté réformatrice. Mais il a réitéré encore récemment son désir d’évolution sans révolution.

D’ailleurs, la population syrienne forte de près de 20 millions d’habitants est restée silencieuse, les autorités craignant que des manifestations de soutien au régime entraînent des chocs avec des opposants, notamment les groupes salafistes armés et entraînés de l’extérieur et qui espèrent une revanche de leur écrasement à hamac en 1982 ; les manifestants montrés sur les chaînes arabes ne sont que quelques milliers au plus, 50.000 lors du rassemblement le plus important. On a eu la preuve de la désinformation de Al-Arabiya et Al-Jazeera le jour où elles diffusaient « en direct » des images d’une manifestation sous le soleil de Damas alors qu’il tombait au même moment des trombes de grêle sur la ville, fait assez rare en Syrie.

Le revirement brutal du Président Sarkozy

Quels sont d’ailleurs ces « manifestants pacifiques ou représentants des droits de l’homme rencontrés par l’AFP » qui ont tué par balles des dizaines de représentants des forces de l’ordre ?

Il est clair que la masse du pays soutient les dirigeants nationaliste laïcs actuels, même si elle aspire à plus de libéralisme économique et politique, à davantage d’emplois et à un meilleur niveau de vie, mais elle comprend qu’il s’agit d’un complot visant à détruire l’unité du pays pour installer des rivalités ethniques et confessionnelles, qui permettront ensuite de dicter une autre politique plus conciliante envers celle de l’Amérique.

Dans cette conjoncture, le revirement brutal du Président Sarkozy est incompris des Syriens qui avaient vu dans le rapprochement entre les deux pays, suivi d’échanges importants dans tous les domaines, le contre-pied de l’obstination anti-syrienne de Chirac. Dans un premier temps, le raisonnement stratégique du nouveau locataire de l’Elysée avait pris en compte le fait qu’une grande politique arabe de la France ne pouvait se faire en refusant de parler à la Syrie, que la question iranienne était liée aux bons offices de Damas, comme du reste le règlement du conflit israélo-palestinien. Le Président Assad avait d’ailleurs offert ses services dans ce domaine lors de son passage à Paris en novembre 2010.

Le rôle central de la Syrie dans les équilibres du Moyen-Orient est encore renforcé par son influence sur l’avenir de son voisin de l’est : depuis le début de l’intervention américaine en Irak et jusqu’à aujourd’hui, elle a accueilli un nombre très important de réfugiés ayant fui leur pays pour des raisons multiples, les estimations les plus sûres annonçant 1,5 million de personnes installées en Syrie, peut-être plus. En dehors de l’aspect humanitaire à mettre au crédit du régime syrien, il est évident que cette masse de réfugiés a vocation à jouer un rôle dans l’avenir de l’Irak toujours en recherche de stabilité.

La diplomatie française donne l’impression d’être systématiquement pro-américaine

« Les gendarmes du monde » étant occupés et enlisés ailleurs, le régime syrien n’a pas à craindre une intervention militaire, qui serait d’ailleurs catastrophique pour tout le monde, et  il devrait parvenir à museler les acteurs internes du complot – essentiellement islamistes liés aux Américains et Saoudiens – sans avoir à redouter autre chose que des déclarations vertueuses et lénifiantes de Washington, Bruxelles et Paris, ou des sanctions économiques sans grand effet stratégique à court terme.

La France aurait tout intérêt à comprendre rapidement que les manoeuvres, directes ou indirectes, pour mettre des régimes favorables à l’Occident à la tête des pays arabes, idée-force mais simpliste de Washington, ne sont pas conformes à la volonté des peuples concernés qui, tôt ou tard les rejetteront, et qu’elle doit retourner aux fondamentaux d’une politique étrangère indépendante, respectueuse du droit des peuples à décider eux-mêmes de leur sort.

La diplomatie française doit à nouveau prendre le recul indispensable à la compréhension du sens de l’histoire du monde et ne plus donner l’impression d’être systématiquement associée aux intérêts d’une Amérique qui a du mal à s’adapter à l’émergence d’un monde nouveau et qui n’a rien à offrir à ses alliés sinon une participation à des aventures guerrières coûteuses à tous points de vue. Les changements de caps récents dans le monde arabe ne témoignent pas, de la part de notre diplomatie, d’une réflexion stratégique globale et pour revenir sur l’exemple syrien, nous aurions tort de croire que la contestation entretenue artificiellement  parvienne à ses fins dans un pays où les habitants sont ombrageusement nationalistes et fiers de leur riche passé. Quelques dizaines de milliers de manifestants, même cent mille, ne sont rien par rapport à presque 20 millions qui assistent pour l’instant silencieusement à la déstabilisation d’un pouvoir qui, paradoxalement,  a annoncé des réformes mais attend le retour au calme pour les mettre en œuvre, et demeure de toute façon le mieux placé pour les faire.



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