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La "Chaine parlementaire" (française) vient de consacrer 40 minutes à un débat sur la crise syrienne. L'occasion pour le professeur belge Pierre Piccinin de faire sa rentée médiatique après ses récentes mésaventures dans les geôles syriennes et son revirement à 180 degrés qui l'ont donc fait passer d'une critique de la désinformation médiatique des douze premiers mis e la crise à une condamnation sans nuances du régime et même à un appel à une intervention armée internationale contre lui. Du [...]



Le plus atlantiste des députés français tâcle Hollande

Par Louis Denghien,



Pierre Lellouche : le plus atlantiste des UMP stigmatise l'extrémisme interventionniste de François Hollande : le monde est compliqué et la Syrie n'a rien arrangé !

La « Chaine parlementaire » (française) vient de consacrer 40 minutes à un débat sur la crise syrienne. L’occasion pour le professeur belge Pierre Piccinin de faire sa rentée médiatique après ses récentes mésaventures dans les geôles syriennes et son revirement à 180 degrés qui l’ont donc fait passer d’une critique de la désinformation médiatique des douze premiers mis e la crise à une condamnation sans nuances du régime et même à un appel à une intervention armée internationale contre lui. Du Piccinin « d’avant » subsistent quelques petites lueurs de lucidité et d’honnêteté : ainsi il définit l’intervention de l’OTAN en Libye comme « coloniale« , pointant les enjeux pétroliers de la France dans cette affaire. Et, pour la Syrie, il reconnait que l’opposition est très divisée et abrite des tendances islamistes radicales. Et il rappelle même qu’au début de sa présidence Bachar a initié une relative libéralisation de la vie politique et intellectuelle syrienne, avant que l’opposition n’en fasse trop – c’est-à-peu près ce que dit Piccinin – et que la fenêtre se referme sous la pression d’un entourage légué par Hafez al-Assad. Mais ses conclusions quant à une nécessaire attaque « humanitaire » de la Syrie en font le « faucon » de l’émission.

Hollande : postures médiatiques & « ignorance crasse« 

Performance d’autant plus « remarquable » que Piccinin était quand même confronté à Pierre Lellouche : ex-secrétaire d’État (au commerce extérieur) du gouvernement Sarkozy et député des VIIIe et IXe arrondissements de Paris, Lellouche est surtout une figure de l’informel mais efficace lobby pro-israélien en France. Et aussi une « voix de l’Amérique » tendance néoconservatrice. Eh bien le même Lellouche, dans ce débat télévisé, s’est opposé à Piccinin, estimant qu’une intervention militaire était pratiquement impossible eut égard, non seulement au blocage diplomatique de la Russie et de la Chine, mais aux risques considérables d’embrasement de toute la région.

Ce faisant, Pierre Lellouche a repris le gros des critiques qu’il a formulées le 3 juin dans le Journal du Dimanche à l’encontre du président François Hollande, suite à sa sortie, sur France 2,  quant à la possibilité d’une participation de la France à une intervention contre la Syrie autorisée par l’ONU. Suite aussi à son attitude face à Vladimir Poutine, à qui il a tenu, lors d’une conférence de presse commune à l’Élysée, des propos, au sujet de la Syrie et de Bachar al-Assad, d’une arrogance et d’une radicalité (diplomatique) dignes d’un Juppé ou d’un BHL.

Les critiques de Lellouche, pourtant clairement pas un supporteur du régime syrien, portent sur l' »angélisme » et les postures du nouveau président, qui, dit-il en substance, »fait des coups de politique intérieure » sur le dos de la politique étrangère française, au risque de « nuire à la crédibilité de la France« .

En bon ami de l’Amérique  et de l’OTAN, Pierre Lellouche fustige la décision de retrait des « forces françaises combattantes » d’Afghanistan. Mais c’est bien à propos de la politique syrienne de Hollande que l’ex-ministre de Sarkozy se montre le plus dur : sur la déclaration relative à une participation française à une intervention, Lellouche dit qu’elle était « imprudente » autant qu' »irréfléchie« . Et il reprend une argumentation familière aux amis d’Infosyrie, mais qui prend toute son sel d’être cette fois développée par un atlantiste pur sucre : « Personne parmi nos alliés, martèle Lellouche, n’en veut » (de cette intervention militaire) et, si jamais, elle avait quand même lieu, elle « nous plongerait immédiatement dans une poudrière multiconfessionnelle entre majorité sunnite et minorité alaouite chiite« .

« Souhaitons-nous vraiment, continuait Lellouche dans cet entretien au JDD, envoyer des troupes au sol dans une guerre civile qui, de surcroît, peut s’étendre au Liban où sont déjà déployés des soldats français sous casque bleu ? »

De la Syrie, Lellouche enchaîne naturellement sur l’attitude de Hollande face à Poutine, vendredi 1er juin, lors de sa visite à Paris. Et là les propos sont encore plus durs : Hollande a fait « mine de faire la leçon à la Russie pour exploiter l’émoi légitimement suscité en France par le massacre de populations civiles en Syrie » – bref a voulu faire une opération de com’ politique franco-française – et  par la même occasion en a « rajouté sur l’image détestable du régime de Moscou dans les médias français » (dans l’opinion française, c’est autre chose, NdlR). Lellouche stigmatise là encore une attitude, non seulement peu diplomatique et courtoise, mais complètement contre-productive, qui met la France au même niveau que le Qatar dans le regard de Poutine.

Et là Pierre Lellouche incrimine non seulement la bonne conscience bobo et les postures para-électorales de Hollande, mais il pointe carrément la « méconnaissance crasse » qu’il a de la Russie. Qui est ce qu’elle est, mais, dixit Lellouche, « l‘ennui c’est que le monde réel ne fonctionne pas comme un coup médiatique à la manière de François Hollande » ! À quoi sert alors « d’entamer la relation avec le président russe nouvellement élu par des leçons de morale dont on sait par avance qu’elles ne conduiront qu’à l’effet exactement contraire à celui qui est souhaité« .

Lellouche reflet des contradictions internes à l’atlantisme et au sionisme ?

Pierre Lellouche fait en somme un procès en »kouchnérisme » à François Hollande, en oubliant que Kouchner a été le chef de la diplomatie sarkozyste, et que Sarkozy a fait en Libye la guerre que BHL voulait et que lui Lellouche reproche à Hollande de vouloir faire en Syrie ! C’est que la gauche PS et la droite UMP sont tenues, au fond, par leur convergences, convergences que le député de Paris feint d’oublier pour régler, lui aussi, des comptes politiciens franco-français. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir à peu près raison sur le fond de son argumentation.

Mais peut-être la sortie de Lellouche ressort-elle aussi à d’autres moteurs politiques. Ami d’Israël et des États-Unis, notre homme reprend ni plus ni moins les analyses récentes faites par le haut-commandement américain sur le danger qu’il y a à appuyer une rébellion syrienne noyautée par les islamistes radicaux, y compris al-Qaïda. Une analyse qui rejoint celles, formulées plus récemment encore, par deux pontes de la diplomatie et de la géostratégie made in America, Zbigniew Brzezinski et Henry Kissinger (voir notre article « Zbigniew Brzezinski : « La situation en Syrie n’est pas aussi horrible » qu’on le dit », mis en ligne le 4 juin 2012). Qui rejoint aussi celle avancée par de hautes personnalités de Tsahal, qui aimeraient freiner le zèle anti-syrien et anti-iranien du tandem Netanyahu/Barak. C’est aussi de ce côté-là qu’il faut peut-être chercher les sources de la bonne inspiration de Pierre Lellouche…

 

Hollande a montré sa méconnaissance "crasse" non seulement de la situation syrienne mais de la vision politique russe



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23 commentaires à “Le plus atlantiste des députés français tâcle Hollande”

  1. Djazaïri dit :

    Une précision. Frédéric Azziza participe à cette chaîne publique. Il était auparavant sur une radio communautaire très pro-israélienne. J’avais eu l’occasion de l’écouter.Il s’était fait remarqué à cette occasion pour son inconditionnalité à Israël.

  2. Mohamed Ouadi dit :

    Déclarations d’un évêque gréco catholique à propos de « la désolation de la ville d’Homs et de la guerre de l’information »
    Mgr Philippe Tournyol Clos :« La paix en Syrie pourrait être sauvée si tous disaient la vérité. »

    Mondialisation.ca, Le 5 juin 2012
    Agence Fides – 2012-06-04

    Damas (Agence Fides) – « La paix en Syrie pourrait être sauvée si tous disaient la vérité. Après un an de conflit, la réalité sur le terrain est loin du cadre qu’impose la désinformation des moyens de communication de masse occidentaux » : c’est ce qu’affirme, dans un témoignage envoyé à Fides, l’Evêque français Philippe Tournyol Clos, Archimandrite gréco catholique melkite qui a visité ces jours derniers la Syrie, se rendant dans différentes villes, telles que Damas, Alep et Homs.

    A Homs, qualifiée de « ville martyr », les forces d’opposition ont occupé deux quartiers, Diwan Al Bustan et Hamidieh, où se trouvent toutes les églises et les Evêchés raconte à Fides l’Archimandrite. « Le spectacle qui s’offre maintenant à nos yeux – continue-t-il – est celui de la plus absolue désolation : l’église de Mar Élian est à demi détruite et Notre-Dame de la Paix saccagée (près de laquelle on a trouvé plusieurs personnes égorgées) est encore occupée par les rebelles. Les maisons, très endommagées par les combats de rue sont entièrement vidées de leurs habitants qui ont fui sans rien emporter ; le quartier d’Hamidieh constitue encore aujourd’hui le refuge inexpugnable de bandes armées indépendantes les unes des autres, fournies en armes lourdes et en subsides par le Qatar et l’Arabie Saoudite. Tous les chrétiens (138’000) ont pris la fuite jusqu’à Damas ou au Liban ; ceux qui n’y avaient pas de parents se sont réfugiés dans les campagnes avoisinantes, chez des amis, dans des couvents, jusqu’au Krak des Chevaliers. Un prêtre y a été tué ; un autre, blessé de trois balles dans l’abdomen, y vit encore ainsi qu’un ou deux autres, mais ses cinq évêques se sont prudemment réfugiés à Damas ou au Liban ».

    Le Prélat continue : « Dans la capitale, ce que l’on appréhende le plus sont les voitures piégées et les attentats à la bombe, la plupart du temps, le fait de kamikazes alléchés par l’appât du gain, le désir du paradis d’Allah, ou bercés du rêve sunnite de la fin des alaouites au terme de 40 ans de règne. Actuellement, on tente une déstabilisation sanguinaire et systématique du pays par des aventuriers qui ne sont pas syriens. Cette information, qui va à l’encontre des journaux et des reportages télévisés, l’ex-ambassadeur de France, Éric Chevallier, n’avait eu de cesse de la faire entendre alors que de nombreuses informations continuent à être falsifiées afin d’alimenter la guerre contre la Syrie » dénonce l’Evêque à Fides. A Damas, au cours de ces dernières semaines, ont été enregistrés de terribles attentats ayant fait 130 morts (dont 34 chrétiens), 400 blessés et ayant endommagé de nombreuses maisons. « La consternation est générale, le chagrin indescriptible et les nombreuses funérailles déchirantes » note l’Archimandrite, rappelant que le peuple syrien est un peuple simple et joyeux. A propos des chrétiens, l’Evêque déclare : « Les chrétiens vivent en paix, partageant les souffrances de tous mais ils sont prêts à admettre de ne s’être jamais senti aussi libres par le passé et à rappeler la plaine reconnaissance de leurs droits de la part de l’actuel gouvernement ».

    Mgr Philippe Tournyol Clos raconte la clef de lecture de responsables chrétiens et musulmans syriens, qui affirment : « Les ennemis de la Syrie ont enrôlés les Frères Musulmans dans le but de détruire les relations fraternelles qui existaient depuis toujours entre les musulmans et les chrétiens. Pourtant, à ce jour, ils n’y sont pas parvenus : ils ont même provoqué une réaction contraire et rapproché comme jamais auparavant tant les communautés que les individus ». Les militaires syriens continuent à se trouver face à des combattants étrangers, mercenaires libyens, libanais, militants des Etats du Golfe, afghans, turcs. « Les militants sunnites salafistes – déclare l’Evêque – continuent à perpétrer des crimes sur les civils ou à recruter des combattants de force. Les extrémistes fanatiques sunnites combattent avec orgueil une guerre sainte contre les alaouites. Lorsque des terroristes veulent vérifier l’identité religieuse d’un suspect, s’il se dit chrétien, ils lui font réciter le Je crois en Dieu et le laissent partir. S’il se dit ismaélite, il lui est demandé de donner les généalogies qui remontent à Moïse. S’il se dit sunnite, ils exigent qu’il récite une prière dont les alaouites, eux, ont retiré un passage. Les alaouites n’ont aucune chance de s’en tirer vivant ». (PA) (Agence Fides 04/06/2012)

    Voir égalment le témoignage de Mgr Philippe Tournyol du Clos :
    Le printemps syrien – 2012-05-27
    http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=31261

    • RoyL dit :

      Il [Lellouche] joue avec les poupons (ainsi à ne pas avoir le
      temps de lire et s’instruire) et il tire aux agrafes, comme les
      enfants en primaire (avec un élastique):

      « nous plongerait immédiatement dans une poudrière
      multiconfessionnelle entre majorité sunnite et minorité alaouite
      chiite«

      « Nous »?! Nous les écoliers, certes, oui.

      [ne s’arrête pas de tirer des agrafes avec son élastique:]

      ahi, ahi, stop!, ahi, ..

  3. Souriya ya habibati dit :

    Les voies du Seigneur sont impénétrables..
    Souriya Allah hamiha

  4. vincent dit :

    Bonjour Louis,
    Bonjour à toute l’équipe d’infosyrie.

    Cela fait environ 3 mois que j’ai découvert (avec soulagement et comme une vraie bouffée d’air pure) votre site de « recadrage de l’info » face à l’autisme combiné à l’ignorance (ou le plus souvent l’extrême mauvaise foi) de nos élites occidentales ET SURTOUT DES « JOURNALISTES » QUI SEVISSENT TOUS LES JOURS DANS NOS MEDIAS.
    Je souhaite tout d’abord vous féliciter pour la constance de vos interventions, pour la qualité et la finesse de vos analyse : sur le fond comme sur la forme, le style fait mouche, à mon plus grand plaisir d’internaute ré-informé.
    Vous venez à l’instant de le démontrer une foi de plus.

    J’ai tout de même une question ( qui n’a rien à voir avec cet article): ou en sont les négociations entre le gouvernement Syrien et Français concernant nos barbouzes (rémunérés au frais de l’état) qui auraient été fait prisonniers, selon le témoignage de Mr Meyssian ils seraient environs moins d’une vingtaine?
    Merci d’avance pour votre réponse.
    De la part d’un citoyen Français qui connait un peu la syrie pour l’avoir parcouru dans les années 80-90, choqué et souvent écoeuré par les tonnes de fausses nouvelles distillées de façon systématique à propos de ce beau pays.

    • Louis Denghien dit :

      J’ai toujours marqué, et même exprimé, mon plus grand scepticisme sur cette histoire, même dans sa formule réduite – on est passé de 120 agents et officiers français capturés à 19, je crois. Ca n’est pas crédible à mon sens, et toute l’attitude diplomatique française, de Sarkozy à Hollande, dément complètement cette hypothèse… Mais je ne suis pas dans le secret des Dieux moukhabarats…

      L.D. & Infosyrie

      • salam dit :

        J’ai lu je ne sais plus sur quel site que les manœuvres qui ont eu lieu en Jordanie des américains et consorts avaient pour but un entraînement à la libération d’otages. J’ai tout de suite pensé aux prisonniers des différentes nationalités étrangères mais surtout occidentales en Syrie. Peut-être est-ce une réponse à la question de Vincent ?

        • kegan dit :

          A ce propos; les jordaniens disent aujourd’hui, sur Arabi Press, que la totalité des participants aux manoeuvres aurait quitté la terre de Jordanie…

      • Candide dit :

        Il est vrai que les infos de meyssan sont en général assez fumeuses. Cela dit, il faut bien qu’il vive de quelque chose.

        Par contre je n’avais pas noté que Louis était septique sur ce coup. Et toi, tu en penses quoi Akyliss?

  5. NO PASARAN dit :

    Je vais finir par me demander si Piccinin n’a pas rencontré BHL du côté de la frontière syro-libanaise… Plus ou moins les mêmes dates, non ? 😉

  6. NO PASARAN dit :

    C’est le monde à l’envers, ou quoi, ces derniers jours ???

  7. vincent dit :

    Merci Louis

    Bonne continuation avec mes mes encouragements

  8. hourya dit :

    Voici une vidéo sur la Syrie qui est en une d’ AGORAVOX TV .Le contenu nous change de la logorrhée de la propagande de la Presse-Système.

    F. Asselineau sur la Syrie : « BHL n’est pas plus philosophe que je ne suis moine tibétain. »

    http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=N-p1o9StoeQ

  9. Djazaïri dit :

    A propos de Frédéric Azziza.
    – on peut se demander si maintenant que Sarkozy est parti, il doit rester autant d’inconditionnels d’Israël dans des médias étatiques français,
    – Mr F Hollande serait bien aviser d’étudier la question et d’y apporter les correctifs nécessaires: neutralité, humanisme des médias publiques,
    – dans le cas contraire (le sujet étant très sensible dans les banlieues françaises: le PS ayant été longtemps appelé Parti Sioniste), le PS perdrait pas mal de voix,
    – dont la mienne,
    – en cas de non geste fort avant les législatives, cela sur la Palestine, c’est un bulletin blanc que pas mal de Français musulmans pourraient mettre dans l’urne,
    – Mr F Hollande, à bon entendeur…

  10. Nasser dit :

    Réponse de Pierre Piccinin à notre article
    Investig’Action, Pierre Piccinin

    6 juin 2012

    Suite à l’article de Bahar Kimyongür, Le chemin de Damas de Pierre Piccinin, l’historien victime de la répression syrienne nous demande de publier un droit de réponse. Nous acceptons, par honnêteté intellectuelle, même si nous ne partageons pas la position de Pierre Piccinin sur la nécessité d’une intervention militaire en Syrie pour les raisons suivantes.

    Tout d’abord, l’Occident a-t-il la vocation et la légitimité d’apporter la démocratie aux quatre coins du monde ? Il faudrait déjà se mettre d’accord sur ce qu’on entend par « démocratie ». Si ce concept implique seulement de déposer un papier dans une urne tous les quatre ou cinq ans et garantit aux citoyens le droit de manifester leur mécontentement sur des sujets secondaires et/ou de manière superficielle, bref, si on fait abstraction de ce qui se passe actuellement en Grèce ou au Québec, on peut reconnaître à l’Occident une certaine maîtrise de la démocratie. En revanche, selon d’autres critères, on pourrait inviter l’Occident à balayer devant sa porte avant de frapper à celle de ses voisins libyens, syriens ou iraniens.
    Admettons néanmoins que l’Occident ait vocation à faire triompher la démocratie sur cette planète. Avant de bombarder des pays et de faire couler du sang, l’Occident-phare-de-la-démocratie-dans-le-monde ne pourrait-il pas commencer par arrêter de soutenir ouvertement des dictatures qui ne doivent leur maintien qu’au soutien occidental ? Cela économiserait quelques sorties de F-15 et de nombreux citoyens, en Arabie saoudite, au Qatar, en Ethiopie ou au Honduras, se verraient soudainement accorder le droit d’exercer leurs droits démocratiques. Et sans des litres de sang versés, ce qui ne gâche rien au tableau.

    Mais Pierre Piccinin ne nous parle pas de bombarder Damas. Seulement de « donner un appui aérien à l’Armée syrienne libre, à sa demande et par rapport aux objectifs qu’elle désignera. » Pour rappel, la résolution 1973 votée par le Conseil de sécurité des Nations unies autorisait l’instauration d’une no-fly zone au-dessus de la Libye et engageait à protéger les civils. Or, il est apparu que les forces de l’Otan ont largement dépassé le cadre de la résolution en visant directement un changement de régime et en tuant de nombreux civils au passage. Les avions de l’alliance militaire ont systématiquement bombardé le terrain pour favoriser l’expansion des insurgés. Que deviendra donc l’ « appui aérien » suggéré par Pierre Piccinin si l’Armée syrienne libre rencontre des difficultés pour s’emparer des villes tenues par les troupes du gouvernement ?

    Il n’est sans doute pas nécessaire de chercher à répondre à cette question, rassurez-vous : la guerre de Syrie n’aura pas lieu, nous prédit Pierre Piccinin. L’historien affirme en effet que l’Occident est hostile à une intervention pour préserver la stabilité régionale. On se demande bien pourquoi l’Occident a reconnu le Conseil national syrien comme seul « représentant légitime » du peuple syrien. On se demande pourquoi il soutient et encadre l’Armée syrienne libre et divers groupes armés qui ont plongé le pays dans la guerre civile. On se demande aussi quelle mouche a piqué le sous-secrétaire d’Etat US pour les Affaires du Proche-Orient, Jeffrey Feltman, qui déclarait il y a peu qu’il fallait atteindre un point critique en Syrie et que le régime de Bachar el-Assad devait rapidement toucher à sa fin. En matière de stabilité régionale, on a vu mieux.
    Le fait que le gouvernement syrien n’ait pas attaqué ouvertement les intérêts occidentaux en fait-il un « bon ennemi » à préserver pour la stabilité régionale ? La Yougoslavie n’avait pas attaqué l’Occident lorsque les troupes de l’Otan l’ont démembrée. Les talibans niaient toute implication dans les attentats du 11 septembre et étaient prêts à livrer Ben Laden lorsqu’il a commencé à pleuvoir des bombes en Afghanistan. Saddam Hussein avait rendu de bons services à l’Occident et ne menaçait personne lorsque Bush lui est tombé dessus.
    L’Occident intervient militairement lorsqu’il en a l’intérêt, or il n’a pas d’intérêt à intervenir en Syrie, explique Pierre Piccinin. Les nombreux voyages de l’historien lui ont certes permis d’obtenir de bonnes infos sur le terrain mais peut-être lui manque-t-il le recul nécessaire pour percevoir ce qui se passe dans la région du Grand Moyen-Orient : une redistribution des cartes. Profitant du « printemps arabe », l’Occident et ses alliés régionaux tentent de faire tourner le cours des événements à leur avantage, en affaiblissant l’axe qui leur tient tête et sur lequel on trouve l’Iran, la Syrie, le Liban et le Hamas. Une opération de séduction a été entamée pour rapprocher politiquement le mouvement de résistance palestinien des pétromonarques bailleurs de fonds. Pour le reste, appliquant la bonne vieille recette coloniale du diviser pour régner, l’Occident et ses alliés tentent d’appliquer une grille de lecture confessionnelle sur la contradiction profonde qui traverse la région. Plus question d’ingérence, d’oppression, de pillage économique et de dictatures subalternes… Le problème du Grand Moyen-Orient à présent, c’est qu’il y a des sunnites d’un côté et des chiites de l’autre.
    Cette stratégie avait déjà été développée dans les années 60 : il fallait contrer l’influence de Nasser qui militait pour l’indépendance du monde arabe. Pour ce faire, on avait opposé au panarabisme laïc de l’Egyptien l’islam politique de l’Arabie saoudite. Le même phénomène se reproduit aujourd’hui. Bien-sûr, il existe des contradictions entre sunnites et chiites. Mais elles n’expliquent pas les bouleversements géopolitiques qui traversent la région. Ce que n’autorisera pas l’Occident, c’est que les peuples arabes s’unissent, au-delà de leurs confessions, pour mettre un terme au pillage des multinationales et des dictateurs fantoches qui leur servent de relais. Si on ne comprend pas cette redistribution des cartes, on ne peut pas comprendre pourquoi l’Occident soutient un peuple opprimé en Syrie et l’oppression d’un peuple au Bahreïn ou en Palestine. On ne peut pas comprendre pourquoi les monarchies du Golfe apportent un soutien armé aux rebelles syriens alors qu’elles reluquaient leurs beaux joujoux dans leur caserne lorsque les Gazaouis étaient bombardés il y a trois ans.

    Enfin, il est nécessaire de mettre un terme à une idée en vogue chez les belliqueux humanitaires et partagée par Pierre Piccinin : s’opposer à une intervention de l’Otan n’implique pas de soutenir la répression du régime syrien. Nous soutenons le droit légitime du peuple syrien à instaurer un gouvernement démocratique qui tiendra réellement compte de ses intérêts. Mais ce n’est pas l’objectif poursuivi par une grande frange de l’opposition soutenue par l’Occident. Ce n’est pas non plus le résultat que l’on peut espérer d’une intervention de l’Otan : l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord n’a JAMAIS apporté la paix et la démocratie dans un pays où elle est intervenue. C’est donc dans l’intérêt du peuple syrien que nous nous opposons à une telle intervention. Car les guerres de l’Otan ne sont pas la solution mais font partie du problème.

    Investig’Action

    Réponse à Bahar Kimyongür (et à mes autres amis de la gauche de la gauche), à propos de la Syrie

    Mon cher Bahar, le texte que tu as produit à mon propos, par ailleurs très aimable et digne de l’intellectuel que tu es (alors que d’autres se croient obligés de couper les ponts ou d’adopter un ton agressif, voire insultant et même indécent à mon encontre), m’a certainement interpellé et, tout en te répondant, me donne l’occasion de mettre deux ou trois choses au point, à l’intention, non seulement, de ceux de mes lecteurs qui cherchent à comprendre la réalité syrienne, comme j’essaie moi-même de le faire depuis près d’un an, et ne s’ingénient pas à démontrer à tout prix une thèse préconçue, mais aussi de ceux qui, à la gauche de la gauche, apparaissent vissés à quelques postulats bien arrêtés et dont les critiques à mon égard, le vocabulaire et le ton employés sont typiques de cette tendance, dont je connais fort bien plusieurs spécimens très représentatifs, et que, probablement, parce qu’il se sont bouché les oreilles, je ne convaincrai pas ; mais ce n’aura pas été faute d’avoir essayé.

    Je n’épiloguerai pas sur ton appréciation toute personnelle de ma méthode de travail, que tu qualifies de naïve et de candide : « est-il en effet raisonnable de courir d’un front à l’autre, de passer d’un camp à l’autre sans avoir le moindre mandat, la moindre couverture officielle ? », interroges-tu. C’est la politique que j’ai pratiquée en Syrie, tout comme en Libye, en Égypte ou au Yémen ; et elle m’a plutôt bien réussi, tandis que d’autres, viscéralement attachés au régime, défendaient l’indéfendable, ou au contraire, entrés en fraude dans ces pays et guidés par l’opposition, angélisaient la rébellion… Et, n’eût été l’incompétence zélée d’un sous-fifre des services des renseignements militaires de Tal-Kalakh, un bled paumé à la frontière libanaise, probablement aurais-je pu, cette fois encore, mener à bon terme mon séjour d’observation.

    Par contre, j’entends bien m’expliquer sur les raisons qui m’ont amené à rectifier mon analyse concernant les intentions du régime syrien et les conclusions qu’il faut dès lors tirer.

    Avant d’aller plus loin, cependant, je voudrais commencer par remercier tous ceux qui, sur Facebook ou par mail, m’ont apporté leur soutien dans ces moments compliqués et dont j’ai découvert, à mon retour des geôles syriennes, les messages d’amitié, après six jours difficiles passés dans quatre prisons, dont deux centres des services secrets, séjour nerveusement et physiquement très éprouvant.

    Et je souhaite aussi remercier mes deux amis, Thibaut et Thierry, ce que je n’avais pas encore fait publiquement, deux amis très proches, qui ont toujours accepté de m’assurer un filet, lorsque je me suis rendu sur les différents terrains du « Printemps arabe », en Tunisie, en Égypte, au Yémen, plusieurs fois en Libye et en Syrie… Tous deux m’ont secondé sans jamais faillir et ont assuré le suivi nécessaire lorsque je me trouvais dans les zones de conflit. C’est en grande partie grâce à leur zèle que j’ai pu m’en sortir cette fois-ci, et sans trop de casse.

    Je pense aussi à mes camarades de cellules, qui, eux, sont toujours là-bas. Je dis bien mes « camarades », mes « amis », car, si nous ne sommes restés ensemble que quelques jours, la solidarité dont ils ont fait preuve envers moi fut admirable et, à présent, c’est à mon tour de me montrer solidaire et de témoigner en leur nom.

    Depuis mon retour, je lis bien des inepties à mon propos. A commencer par une première réaction, publiée sur le site internet du journal Le Soir, le 23 mai, un article de Jean-Claude Vantroyen, d’une bêtise navrante et d’une méchanceté crasse, non seulement parce qu’il est rempli d’erreurs et de non-sens, mais aussi parce que l’on sait très bien de qui vient toute cette boue malsaine, du « Monsieur Moyen-Orient » du Soir, qui n’a pas osé écrire lui-même ce pamphlet et, alors qu’il me qualifiait naguère dans tout Bruxelles « d’ami de Kadhafi et d’al-Assad », n’a lui-même jamais mis les pieds ni au Yémen, ni en Syrie, ni en Libye, tout le « Printemps arabe » durant (et je précise que, contrairement à d’autres médias qui s’étaient déplacés pour m’accueillir à l’aéroport le 23 mai, Le Soir a publié ce tissus de n’importe quoi sans même m’avoir contacté pour rien vérifier et alors que je me trouvais encore, le matin même, dans une geôle syrienne).

    J’y ai appris au passage que Jonathan Littell, l’auteur du Prix Goncourt 2006 (pour un roman, tout au plus provocateur, que j’ai un jour feuilleté dans un supermarché, par curiosité, et que j’aurais trouvé plus à sa place dans une gare –le Goncourt est très inégal), me qualifiait de « crétin », dans ses Carnets de Homs, ne partageant pas mon analyse de la situation syrienne. Je suppose que c’est là ce qu’on peut se permettre quand on a reçu le Goncourt… Littell a en effet passé deux petites semaines à Homs, peu après que je m’y étais moi-même rendu. Un séjour unique, à Homs seulement et sous l’influence des rebelles ; pour ma part, j’en suis à mon troisième séjour, en toute neutralité, et je me suis déplacé dans tout le pays, de Deraa à Alep et de Latakieh à Deir ez-Zor…

    Ni historien, ni politologue, ni spécialiste de la région, sans aucun outil pour apprécier la portée des événements, le romancier à succès s’y est offert quelques frissons, planqué, sous la protection de l’Armée syrienne libre, sans jamais avoir rencontré les partisans du régime, et il a détalé comme un lapin le jour où les bombardements des chars gouvernementaux ont commencé. Outre le manque d’élégance du personnage, qui insulte ceux qui ne souscrivent pas à ses vues, il convient d’ajouter que Littell n’a jamais cherché à me rencontrer ; plus fort : il ment sans vergogne lorsque, dans les Carnets de Homs, il prétend que son collaborateur, un certain Mani, photographe occasionnellement attaché au quotidien Le Monde, m’aurait interviewé. J’ai bien reçu un soir un coup de fil de Homs, alors que je me trouvais dans ma maison de campagne en Belgique, de la part de ce Mani. Mais il m’avait invectivé d’une odieuse façon, à ce point que j’avais rapidement mis fin à la discussion.

    J’ai aussi dû répondre à quelques attaques de la part d’un certain Daniel Le Conte et d’un non plus certain Max Loiseau, qui ont eu l’indécence d’asserter, respectivement, sur AlterInfo et dans Ubu-Pan, cet hebdomadaire islamophobe bien connu de l’extrême-droite belge, que mon témoignage sur les prisons des services secrets syriens et les tortures que l’on y pratique était totalement inventé, car, selon eux, j’aurais été arrêté par les services de l’immigration et immédiatement expulsé, au bout de deux jours, et ce, tout simplement, parce que je n’aurais pas eu de visa. Selon eux, j’aurais donc passé sept jours en Syrie, du 15 au 21 mai (j’ai été expulsé le 23), en franchissant joyeusement, sans visa, les check-points et contrôles de police. Leurs propos ont été repris par Le Grand Soir qui, après avoir identifié le « fake », a retiré l’article, de la pure intox (le Ministère des Affaires étrangères belge détient une copie de mon passeport et du visa, que j’ai obtenu au poste de Jdaidit, à la frontière libanaise).

    Donc, en deux mots, les faits, tels qu’ils se sont réellement déroulés :

    Alors que j’essayais d’établir la cartographie de la rébellion en Syrie (j’étais entré en Syrie le 15 mai et je m’étais déjà rendu dans la région de Zabadani, à Homs, à Tal-Biset, où j’avais rencontré le commandement militaire rebelle, à Rastan et à Hama), j’ai été arrêté le 17 mai par les services de renseignement syrien, devant la ville rebelle de Tal-Kalakh, à la frontière du Nord-Liban, où j’allais également essayer d’entrer dans Qouseir, avant de me rendre à Idlib.

    Après quelques heures de cachot, j’ai été transféré au centre des services de renseignement de Homs ; j’y ai été « interrogé sévèrement » : les services secrets syriens étaient persuadés que j’espionnais pour le compte du gouvernement français et que j’assistais la logistique et la coordination de l’Armée syrienne libre. Et, toute une nuit durant, j’y ai été témoin des atrocités, des tortures, que les agents de la sécurité infligeaient « à la chaîne », à des dizaines de malheureux.

    J’ai ensuite été transféré au centre des services de renseignement de Palestine Branch, à Damas (qui avait été l’objet d’un attentat à la bombe quelques jours plutôt). J’ai à nouveau été interrogé, mais plus civilement, cette fois.

    Lorsque les autorités syriennes ont compris que je ne présentais aucun danger pour elles, j’ai été jeté dans un sous-sol, en vue d’être expulsé. J’y suis resté quatre jours.

    Avec certaines complicités, j’ai pu faire passer un message à l’extérieur ; le Ministère des Affaires étrangères belge, qui avait déjà été averti de ma disparition, a immédiatement tout mis en œuvre pour me localiser et me sortir du pays ; et je me félicite de son extraordinaire efficacité, en remerciant particulièrement le Consul de Belgique à Amman, Monsieur Arnt Kennis.

    Jusqu’à ce troisième séjour d’observation, concernant la Syrie, j’avais toujours défendu les principes du droit westphalien et ceux de la souveraineté nationale et de la non-ingérence. Mais, face à toute l’horreur que j’ai découverte et pour chacun de ces hommes que j’ai vus mutilés atrocement par des barbares au service d’une dictature dont je n’imaginais pas les audaces et le degré de férocité, je me rallie à leur appel pour une intervention militaire en Syrie, qui puisse renverser l’abomination du régime baathiste : si ce passage difficile est nécessaire, il doit être emprunté, pour qu’il soit mis un terme à quarante-deux ans de terreur organisée dans des proportions dont je n’avais pas idée.

    Certes, l’Armée syrienne libre commet elle aussi des atrocités. Mais il s’agit de bavures, d’exactions, qui sont le plus souvent le fait de groupes de miliciens qui gravitent à la périphérie de la nébuleuse de la contestation armée. Et non pas, dans son cas, d’une pratique systématique, érigée en principe de gouvernement.

    Ainsi, le système Assad fils ne s’est nullement amandé et ne diffère en rien de celui du père, contrairement à ce que laissaient penser plusieurs éléments, sur lesquels je basais jusqu’alors mon analyse.

    En effet, en 2000, avec l’avènement de Bashar al-Assad, s’était ouvert le « Printemps de Damas » : retour d’exilés appelés au dialogue, un début de liberté de presse, promesses de réformes des institutions… Il est vrai que, très rapidement, le régime a refermé la porte : l’opposition, emplie d’espoir, demandait tout, trop, et trop vite ; et les réactionnaires du régime s’en sont inquiétés. Mais l’intention était là : Bashar était un homme du XXIème siècle ; il remplaçait son père Hafez, l’homme de la guerre froide.

    Ensuite, il y a eu le rapprochement avec l’Occident, l’ouverture à la Turquie, les accords avec l’Arabie saoudite et le Qatar, la libéralisation de l’économie… La Syrie changeait. Du moins, on pouvait en formuler l’hypothèse.

    Puis, il y a eu la contestation, à la faveur du « Printemps arabe » ; et les annonces de réforme, la levée de l’état d’urgence, les élections…

    Je supposais que, surfant sur la vague révolutionnaire qui secouait son pays, le nouveau président syrien allait réussir à persuader les réfractaires au changement que seule une progressive démocratisation du système permettrait d’éviter le pire.

    Il n’en aura pas été ainsi : sûr de sa force et certain qu’il n’y aura pas d’intervention étrangère, le régime entend bien conserver l’intégralité de ses prérogatives et réprimer militairement la rébellion armée et policièrement la contestation civile. La terreur demeure le système de gouvernement en vigueur.

    Autrement dit, rien ne changera en Syrie, si l’opposition démocratique n’est pas appuyée dans sa rébellion contre un régime surarmé, qui l’écrasera impitoyablement si nous ne lui donnons pas les moyens de se battre.

    Il ne s’agit pas de bombarder Damas : la conjoncture n’est pas celle de la Libye. Mais de donner un appui aérien à l’Armée syrienne libre, à sa demande et par rapport aux objectifs qu’elle désignera.

    Par rapport à cette prise de position, je voudrais être bien entendu sur deux points.

    Premièrement, contrairement à ce que certains affirment, la nouvelle analyse que je formule ne procède nullement du traumatisme que j’ai vécu ; elle est, au-delà de cela, le fait d’une réflexion objective fondée sur l’observation du terrain et sur la collecte d’informations, mais, en aucun cas, le fruit de l’émotion. Et l’horreur des tortures auxquelles j’ai assisté ne constitue qu’un élément –et un des moindres- de tous ceux qui ont nourri ma réflexion : les longs entretiens que j’ai eus avec des officiers de l’Armée syrienne libre et avec les prisonniers politiques rencontrés dans les geôles du régime m’ont été bien plus profitables, de même que ce que j’ai pu constater de l’état d’esprit de la population, qui a changé depuis quelques mois et dont j’ai pu apprécier l’évolution, à Damas notamment, une population qui a elle aussi perdu confiance dans les promesses du gouvernement et se trouve en outre confrontée à un chômage qui atteindrait les 60%.

    Mon expérience de la torture, à Homs principalement, n’est donc qu’un élément parmi plusieurs autres facteurs qui ont entraîné ma réévaluation de la conjoncture syrienne.

    Deuxièmement, je n’ai pas « retourné ma veste », contrairement à ce que proclame la rengaine manichéiste que répètent à l’envi nombre de mes nouveaux détracteurs, qui m’adulaient, pourtant, lorsque je défendais une position modérée à l’égard du régime baathiste, et pour lesquels, en un claquement de doigt, je suis maintenant transformé en l’un des pires soutiens de « l’Empire » ; je n’ai pas « complètement » changé de point de vue.

    L’évolution de mon analyse ne porte que sur un point précis du dossier syrien et un seul, à savoir l’appréciation de la nature du régime ; je reconnais mon erreur sur ce point et rectifie le tir, ce qui me semble procéder d’une attitude scientifique normale. Et j’en conclus désormais que l’intervention militaire est nécessaire.

    Cela dit, n’ayant jamais cru à une volonté d’intervention en Syrie, je ne m’y suis jamais opposé. Comment, dès lors, peut-on aujourd’hui m’accuser de « retourner ma veste » en la matière ?

    Pour le reste, toutes les analyses que j’ai produites sur le sujet demeurent exactes : la pluralité et la faiblesse de l’opposition ; le terrorisme salafiste ; le risque de guerre civile et le danger islamiste ; la désinformation médiatique massive et les « fakes » d’al-Jazeera et des deux Observatoires syriens des droits de l’homme qui se font concurrence dans le travail d’intoxication des médias ; l’implication des services secrets français aux côtés des rebelles, du Qatar et de l’Arabie Saoudite aussi ; la solidité du régime, qui contrôle la quasi-totalité du pays, dont les grandes villes ; le soutien des Chrétiens au gouvernement, celui des Alaouites, des Druzes, d’une partie de la bourgeoisie sunnite ; la fidélité de l’armée et de l’administration ; etc.

    Et, de même, le contexte international et l’attitude de l’Occident, hostile à une intervention et désireux de maintenir la stabilité régionale, Israël en premier. Comme je l’ai expliqué depuis le début de cette crise, pas de grand complot contre un gouvernement syrien qui, somme toute, satisfait aux exigences occidentales du moment.

    D’où –cela dit en passant- l’absurdité de l’édito de Caroline Fourest, à mon propos, ce 1er juin, sur les ondes de France Inter, qui m’accuse d’avoir soutenu la dictature syrienne (alors que je l’ai toujours dénoncée pour ce qu’elle est), parce que, selon elle, je serais prêt « à nier la violence de tout régime, pourvu qu’il soit opposé aux Etats-Unis, à l’OTAN ou à Israël ». C’est d’autant plus absurde que c’est ce que je reproche moi-même depuis toujours à certains intellectuels marxisants, comme je l’ai déjà explicité dans plusieurs interviews (par ailleurs, contrairement à ce qu’a prétendu l’intellectuelle faussaire, bien que j’aie toujours défendu bec et ongle le droit de penser librement et la liberté d’expression et bien que les lois mémorielles me posent un sérieux problème en tant qu’historien, je n’ai jamais signé de pétition en faveur de Vincent Reynouard ; on ne me l’a jamais demandé).

    Pensez à ceci : à vouloir systématiquement, envers et contre tout, s’opposer à toute intervention atlantiste en Syrie, vous en venez petit à petit à prendre le parti d’un des pires régimes du siècle.

    Cela dit, concernant l’intervention, soyez rassurés, mes amis : elle n’aura pas lieu, car personne n’y a intérêt.

    L’Occident intervient « pour protéger » dans les seuls cas où il peut prendre quelque chose aux hommes qu’il a décidé de protéger. C’était le cas en Irak, en Afghanistan, en Libye. Les armées de ces pays étaient faibles et les perspectives de bénéfices, énormes.

    En Syrie, il n’y a que des coups à prendre.

    Le régime peut donc continuer à torturer et à tuer, à son rythme habituel… L’Occident a quant à lui déjà trouvé une excuse à son inertie et un responsable tout désigné : le veto russe.

    Pierre PICCININ (Historien – Politologue)

  11. Paul dit :

    Nicolas Sarkozy prétend se détacher de la politique… Et à peine revenu en France, il s’empresse d’assister à une projection privée d’un film de propagande du Bazar-Henri Lévy, puis de s’afficher en compagnie du même personnage dans un restaurant rive gauche… Une connivence qui n’est certainement pas fortuite… Décidément, battu à la présidentielle du fait de son comportement et de ses mauvaises fréquentations, il semble toujours n’avoir vraiment rien compris…

  12. betehem dit :

    Excellent article, Nasser. J’ai particulièrement apprécié cette analyse au delà de sunnites-chiites que radotent les occidentaux. Les problèmes vont bien au delà.
    Vivement que les vrais musulmans se rassemblent, dans un retour vers la tolérance commune, au lieu de se laisser ainsi enfermer.
    Tous les états musulmans laïques disparaissent. Ce n’est pas un hasard.
    Merci aussi pour les rappels historiques. Inutile d’attaquer l’Occident, il le fait bien tout seul pour changer la face du monde à sa guise.
    Et encore merci pour vos questions très justes sur la démocratie.

  13. doudou dit :

    dite moi les crasses il vas les remettres ou pas monsieur hollande

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