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Voici la traduction d'un article paru en anglais sur le site The Arab American News.com, dont l'intitulé dit assez l'orientation générale, pas vraiment anti-américaine. Le contenu de l'article n'en est que plus intéressant : l'auteur, Nicholas Noe, est rédacteur en chef du site - installé à Beyrouth - Mideastwire.com, voué à la traduction en anglais d'informations sur le Proche-Orient, et l'éditeur d'un récent ouvrage, La Voix du Hezbollah : déclarations de Sayyed Hasan Nasrallah. Son analyse de la situation syrienne reflète [...]



Un analyste anglo-saxon appelle les Occidentaux à la raison

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Voici la traduction d’un article paru en anglais sur le site The Arab American News.com, dont l’intitulé dit assez l’orientation générale, pas vraiment anti-américaine. Le contenu de l’article n’en est que plus intéressant : l’auteur, Nicholas Noe, est rédacteur en chef du site – installé à Beyrouth – Mideastwire.com, voué à la traduction en anglais d’informations sur le Proche-Orient, et l’éditeur d’un récent ouvrage, La Voix du Hezbollah : déclarations de Sayyed Hasan Nasrallah. Son analyse de la situation syrienne reflète certains « tropismes » de la vision américaine des sociétés arabes : le pouvoir de Damas y est systématiquement décrit comme violent et oppressif, sans que soit vraiment évoquées la fragilité de l’équilibre confessionnel et ethnique, ou l’origine diverse des violences actuelles. Mais le mérite de Nicholas Noe est ailleurs : il met en garde, avec un grand luxe d’arguments, les Occidentaux contre une approche intransigeante et déstabilisatrice du cas syrien, approche privilégiée par l’alliance des libéraux et néoconservateurs américains, qui se sent depuis la Libye à nouveau le vent en poupe du côté de Washington. Cette politique d’appui à la rebellion armée et d’exacerbation des tensions intersyriennes, aurait évidemment, rappelle Noe, les pires conséquences, non seulement pour les Syriens mais pour les habitants de toute la région.

 

Une troisième voie est encore possible en Syrie

Beyrouth. Alors que le Proche-Orient traverse une nouvelle période incroyablement dangereuse, les « interventionnistes libéraux » joignent à nouveaux leurs voix belliqueuses à celles des néoconservateurs, appelant au renversement, le plus rapide possible, du régime syrien.

Au contraire de ce qui s’était passé dans la course à la désastreuse guerre d’Irak, cependant, ce consensus « LiberalCon » semble s’imposer avec apparemment très peu, sinon aucune alternative crédible à soutenir, mise à part une timide tentative de l’administration Obama de proposer un « marché » au régime syrien, marché qui en fait se résume à ces mots : « La réforme ou la mort violente ».

Bien sûr, comme le savent la plupart des conseillers d’Obama, ce n’est pas là une feuille de route crédible pour un régime engagé dans une bataille où ses ennemis extérieurs  détiennent une telle suprématie en termes de pouvoir militaire et politique (et nous ne parlons pas là des territoires syriens occupés comme le plateau du Golan).

Il y a plus : le « plan Obama » ne propose réellement rien de positif – pas la moindre « carotte » – au régime de Damas et aux élites syriennes, qui puisse les entraîner dans un vrai processus de stabilisation et de transition, ou qui puisse susciter assez de fractures au sein du régime, en cas de rejet, pour renforcer la position des modérés jusqu’à un point critique (et ainsi atténuer les risque de violence en cas d’implosion du système syrien).

Le résultat de cette vacuité de l’administration Obama, c’est que le « tsunami » LiberalCon enfle chaque jour, excluant officiellement une intervention armée dans le registre libyen (bien que l’on sache, sur la base de déclarations récentes, que l’aile néoconservatrice souhaite une telle intervention), mais soutenant, dans le même temps, via de puissants acteurs extérieurs, une politique vouée à aggraver la pression sur la Syrie et ses contradictions internes, ce jusqu’au point de rupture.

« Sacrifier la vie de 2 à 3 millions de Syriens pour faire triompher la cause de la liberté »

Le problème d’une pareille démarche, c’est que son résultat, notamment pour le peuple syrien, sera probablement pire que l’espèce de guerre civile qui ravage aujourd’hui la Libye. Un activiste syrien en transit au Liban n’a-t-il pas déclaré incidemment à un journaliste occidental qu’il envisageait calmement la nécessité de sacrifier la vie de 2 ou 3 millions de Syriens pour faire triompher la cause de la liberté ?!

Et tout cela sans parler de la perspective grandissante d’une guerre régionale (et ses conséquences imprévisibles) qui serait certainement induite par cette politique d' »effondrement accéléré » du régime baasiste !

Pourtant, une autre voie, potentiellement fructueuse, existe depuis le début du mouvement de protestation, même si on a préféré parler du fameux « point de non retour » à chaque fois que le régime a accru sa violence et que  le acteurs étrangers ont investi toujours plus de moyens (rhétoriques, financiers et autres) dans leur politique d' »effondrement accéléré » du pouvoir de Damas.

Bref, plutôt que de se contenter de leur seule formule : la transition politique ou l’isolement complet du régime, une agitation croissante et une possible explosion, l’administration Obama, l’Europe, les autres Etats arabes et la Turquie auraient pu, peuvent encore, s’unir pour proposer une vraie feuille de route permettant une stabilisation immédiate et une transition à moyen terme vers une démocratie.

Pareille transition aurait du intervenir, cependant, dans le cadre d’une action énergique des Etats-Unis conduisant à la restitution intégrale du plateau du Golan au peuple syrien (une option « frontières de 67 » originellement avancée par le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et qui, contrairement à celle récemment proposée par Obama, est acceptable par la classe politique israélienne, surtout compte tenu du soutien déclaré des hauts responsables de l’armée et des services de sécurité).

Concrètement, cette démarche impliquerait :

1) La préparation immédiate d’une conférence internationale pour soutenir l’économie syrienne ;

2) La mise en place d’un plan Marshall, parallèlement à une levée des sanctions économiques, pour aider la devise syrienne, et adoucir les réformes économiques qui, non accompagnées, frapperaient probablement trop durement beaucoup de Syriens, à court et moyen termes ;

3) L’engagement officiel du gouvernement syrien dans un calendrier de réformes politiques déjà avancées par les Syriens vivant vraiment en Syrie (libération globale des prisonniers, retrait de l’armée, définition de dates pour des élections libres et régulières, réformes législatives pour rendre le secteur médiatique plus libre, réformes des services de sécurité) ;

4) Et enfin un engagement public du président américain et de ses alliés d’accélérer le « volet Syrie » des négociations de paix pour reprendre les propres termes de Yitzhak Rabin. Bien qu’il soit aujourd’hui de rigueur de minimiser les précédentes négociations (l’ADN du régime syrien rendrait la paix impossible, prétendent les LiberalCons américains), le père de Bachar al-Assad avait pratiquement signé un tel accord en 2000, mais le Premier ministre israélien, cependant, a fait marche arrière au dernier moment à cause de quelques centaines de mètres de rivage du lac de Tibériade dans le Golan. Pour ne pas être en reste, en 2008, Bachar lui-même était très proche d’un accord juste avant qu’Israël lance son attaque contre Gaza, au grand mécontentement des intermédiaires turcs.

Evidemment, quand on en arrive à la question des réformes politiques, les choses deviennent peut-être un peu plus confuses, spécialement pour nombre d’Américains et d’Européens.

« Imposer un saut radical et immédiat vers une démocratie intégrale mettrait en danger l’ensemble du processus »

Mais imposer un saut radical et immédiat vers une démocratie intégrale serait quelque chose de trop gros à avaler tant pour le régime que pour beaucoup de Syriens, et qui mettrait en danger l’ensemble du processus (on doit là encore mesurer les dangers, stratégiques et moraux, de la politique d' »effondrement accéléré »).

Qui plus est, si l’Occident demande, disons, une date pour des élections présidentielles plutôt que législatives – ce qui mettrait directement en cause le pouvoir de Bachar al-Assad au lieu d’aider à conduire un processus démocratique autochtone – il faudra jeter un coup d’oeil à la région, et réfléchir très sérieusement sur le point de savoir si nous allons nous montrer cohérents et demander la même chose par exemple à Bahrein (où il y a un parlement nominalement élu, mais où c’est la monarchie qui gouverne effectivement), pour ne pas parler de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie, etc.

Quoiqu’il en soit, il semble encore raisonnable, à ce stade – même compte tenu de la brutalité croissante du régime – d’avancer qu’un nombre significatif de Syriens, dans le pays, préféreraient un plan concret et un engagement – soutenu par un groupe d’observateurs extérieurs patients mais déterminés – en faveur d’une transition graduelle amenant des réformes démocratiques significatives (associées aux aux mesures de soutien à l’économie syrienne), plutôt que l’alternative vers laquelle on semble s’engager : des dizaines de milliers de morts, peut-être plus, et plus encore de vies ruinées pour une période prolongée, comme en Irak.

Pour le tandem Libéraux-Néoconservateurs américain, cette approche modérée peut sembler un blasphème de prime abord. Néanmoins, je les presserais de bien réfléchir non seulement aux implications morales et stratégiques de leur démarche actuelle, mais aussi sur l’effet qu’aurait cette approche pacifique sur le scénario de chute du régime qu’ils défendent.

En un mot comme en cent, une feuille de route crédible pour une sortie de l’actuel chaos aiderait vraiment à amortir les conséquences violentes d’une explosion politique, si le clan Assad décidait de rejeter ouvertement une telle proposition présentée par le concert des nations.

Comme nous le tenons désormais d’officiels américains anonymes s’exprimant dans des médias arabes, l’administration Obama recherche actuellement le moyen de détacher de hauts-responsables civils et militaires de la politique jusqu’auboutiste du clan Assad, dans l’espoir qu’un scénario de type égyptien s’impose dans un futur proche.

Sans gestes vraiment incitatifs, cependant, ce plan est vicié à la base et il est peu probable qu’il réussisse dans un contexte syrien (où l’armée semble avoir un fort loyalisme envers Bachar al-Assad), ou avoir un effet minimum sur les calculs du régime.

Avec une offre concrète de « carottes », les fissures dont nous savons qu’elles existent à l’intérieur du système syrien et au sein des élites du pays seraient élargies de façon conséquente, renforçant les modérés face aux durs, et renforçant certainement la capacité des premiers à prendre la main et à atténuer les effets d’une éventuelle chute du régime.

« Provoquer le clan Assad et ses alliés de l’intérieur et de l’extérieur est évidemment déraisonnable »

Provoquer le clan Assad et les alliés qui lui demeurent à l’intérieur comme à l’extérieur (notamment des acteurs-clés comme le Hamas et le Hezbollah) est évidemment déraisonnable, et par l’approche modérée, on aura épargné beaucoup de vies et fait du processus menant à la liberté pour tous les Syriens un défi vivable et gagnable.

Il faut encore préciser un  dernier point.

Le débat sur ce qu’il faut faire vis-à-vis de la Syrie marque un tournant pour les experts et décideurs politiques occidentaux, aussi bien que pour ce qui concerne l’équilibre des relations internationales en général.

La bataille idéologique a gagné une intensité particulière au moment des manifestations suivant l’élection présidentielle contestée de 2009 en Iran et s’est grossièrement réduite à un débat pour savoir si l’on devait utiliser des moyens limités pour répondre à des griefs sous-jacents (comme les territoires occupés, les menaces stratégiques, etc) ou bien poursuivre une politique d’encouragement des diverses « révolutions vertes » – c’est-à-dire indigènes – dans les Etats qui s’opposent aux Américains.

Le grand espoir « vert » est que les régimes en question implosent à la manière communiste, avec un niveau contrôlable de souffrance et de violence. Ceci demeure le scénario préféré de l’axe libéral-néoconservateur quand la situation devient explosive – tout particulièrement après la guerre d’Irak beaucoup se sont orientés vers l’idée de changer le régime d’Etats plus ou moins faibles par l’intervention armée.

Si l’administration Obama persévère dans sa politique d' »effondrement accéléré » du régime syrien, je pense que nous serons très vite confrontés à un test à l’échelle mondiale dans cette « guerre des scénarii ».

Si le le régime syrien s’effondrait sous la pression croissante de l’extérieur, avec relativement peu de violence, ouvrant la voie à un pouvoir démocratiquement élu – ou même à un pouvoir autoritaire mais dont le « comportement » dans la région, tout particulièrement vis-à-vis d’Israël, serait ostensiblement « meilleur » – alors l’approche liberalCon deviendrait beaucoup plus attirante dans les capitales occidentales et parmi des publics de toute sorte.

Je ne pense évidemment pas que c’est là une issue probable – et c’est pourquoi les avocats et défenseurs de la démocratie doivent, je pense, immédiatement lancer un débat sur des approches alternatives de cette question.

Une chose, bien sûr, est absolument certaine, et il importe de la considérer avec beaucoup d’attention : une fois encore, c’est la population de la région qui portera le poids écrasant d’un nouvel enjeu de superpouvoir.

Nicholas Noe

(mis en ligne le 6 avril)

 



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