M. Alkurdi Kinan nous fait parvenir la traduction, effectuée ces jours-ci par lui pour le site algerie-network, de l’interview d’un opposant syrien faite par le blogueur Camille Otrakji (dont nous avons déjà publié des textes, voir les archives du site). Cet opposant, Bassam Alkadi, dénonce, comme du reste pas mal d’adversaires du régime baasiste, les ingérences étrangère et les violences sectaires qui ont visé son pays. Il développe par ailleurs un point de vue original sur la situation et l’avenir possible de la Syrie.
Bassam Alkadi dans son bureau, à Damas
Radical et nuancé, le point de vue original d’un opposant syrien
Remarques du traducteur : Camille Otrakji, est un Syrien, établi au Canada, en charge du fameux site de l’universitaire américain Joshua Landis, dédié à la Syrie, « Syria Comment ». Il a mené une interview d’un opposant syrien, Bassam Alkadi, dont nous vous proposons la traduction française. Cette interview est celle d’un opposant qui refuse à la fois les manigances de l’opposition en exil réunie à Antalya, dominée par les Frères musulmans et les agendas de puissances étrangères, mais également les agissements de l’opposition intérieure syrienne réunie à l’hôtel Sémiramis de Damas (avec l’aval du régime). Alors même qu’il est en contact avec des ONG et des diplomates étrangers (très certainement essentiellement américains), il dénonce les manipulations de l’Occident et les agissements dans la rue de minorités violentes, et réfléchit aux moyens d’une sortie de crise, ainsi qu’à la nécessaire redistribution du pouvoir au sein de la société syrienne. On peut critiquer sa vision d’une démocratisation par les institutions de la société civile (typique de ce que les Américains promeuvent au détriment de la souveraineté nationale et populaire), mais son point de vue qui est indéniablement celui d’un Syrien soucieux de son peuple et de son pays – loin des manipulations diplomatiques et médiatiques des Américains, des Sionistes et des Saoudiens – mérite d’être entendu.
Interview avec Bassam Alkadi, Président de l’Observatoire des Femmes syriennes
Par Camille Otrakji, pour le site Syria CommentSource : http://www.joshualandis.com/blog/?p=10574Traduit en français pour le site algerie-network par Kinan al Kourdi
Bassam Alkadi est le président de la principale organisation syrienne pour les droits des femmes et un combattant acharné des droits de l’homme en Syrie. Bien qu’il ait été renvoyé de son travail, arrêté, emprisonné et interdit de voyager, il continue à être guidé par la logique et non la revanche. Il refuse le dialogue pour le dialogue. Au lieu de cela, il appelle à un dialogue qui suivrait l’accomplissement de certaines conditions, même partielles : la réalisation de certaines des réformes annoncées par le gouvernement syrien.
Dans cette interview il nous fait part de ses préoccupations et de ses craintes d’un conflit en Syrie ainsi que de ses espoirs pour une nouvelle Syrie, démocratique et laïque.
Q1. A votre avis, si des élections parlementaires libres devaient avoir lieu au plus tard cette année, lequel de ces partis obtiendrait le soutien populaire ? Serait-ce le parti Baath [parti nationaliste arabe, actuellement au pouvoir], le Parti Socialiste National Syrien [PSNS, parti « pansyrien »], le Parti Communiste, de nouveaux partis … ?
Bassam : Cette proposition est biaisée dès le départ. On ne peut pas envisager d’« élections parlementaires libres » dès aujourd’hui. Pour que des élections soient « libres », tous les outils et mécanismes nécessaires doivent avoir été rendus disponibles pour tous les partis durant une période adéquate de temps, avant que n’ait lieu une quelconque élection. Comment quelqu’un pourrait-il s’opposer, sinon, à la vaste propagande et aux machines médiatiques, à la fois du parti dirigeant et des islamistes ? Une élection de ce type ne serait pas « libre » au sens véritable du terme tant que les nouvelles lois démocratiques prévues (Loi sur les Partis, Loi sur les Médias, Loi sur la liberté du Parlement) n’auront pas été effectives pour au moins une année entière. Sans cela les élections se limiteraient aux seuls camps aveuglément pro ou anti-régime.
Q2. Quel serait le délai raisonnable pour les réformes prévues et annoncées par le Président Assad dans son troisième discours [du 20 juin 2011] ? Et soutenez-vous les préférences du Président pour la participation de représentants du peuple dans la formulation de ces réformes, dans le cadre de l’initiative d’un dialogue national ? Ou bien avez-vous un modèle différent que vous préférez ?
Bassam : Je soutiens totalement l’intention déclarée du régime d’impliquer de vrais représentants du peuple syrien. Les élites et les figures de l’opposition ont démontré leur échec et leur incapacité depuis un certain temps maintenant, mais spécialement durant la crise actuelle. Prouver ce point particulier nécessiterait un article spécifique, même si c’est facile à prouver. Les vrais leaders de la rue (les loyalistes et l’opposition) sont les seuls qui comptent, quand on en vient au dialogue national.
De plus, les réformes qui ont été lancées depuis la levée de l’état d’urgence ont véritablement besoin de plusieurs années pour être pleinement réalisées et mises en œuvre, et tout discours allant dans un sens différent de la part des dirigeants occidentaux ne peut être interprété que comme une manière de pousser le pays vers plus en plus de tension. Laissons ceux qui poussent [à la tension] présenter un plan pratique pour réaliser ne serait-ce qu’un quart des réformes promises en une année entière, s’ils pensent vraiment pouvoir le faire. Cela dit, des conséquences importantes de ces réformes, même incomplètes, peuvent être rendues visibles avant une durée d’attente trop longue. Ce serait très important comme mesure pour établir la confiance.
Q3. En tant que président de la l’Observatoire des femmes syriennes, qui surveille et promeut les droits des femmes en Syrie, dévoué à la non-violence, et qui a l’habitude de rencontrer des ONG et des diplomates occidentaux, vous avez récemment écrit une lettre exprimant votre colère et votre méfiance à propos des motifs réels qui sous-tendent le suivi étroit, par les USA et l’UE, des événements en Syrie. Vous êtes également critique de l’intervention turque dans les affaires de la Syrie. Croyez-vous que la Syrie est encore aujourd’hui capable de maintenir sa politique étrangère indépendante, et comment ?
Bassam : Je me refuse à décrire ce que l’Occident est en train de faire (en particulier les gouvernements américain, français, britannique, et allemand) comme « un suivi étroit ». Au contraire, leur intervention vise délibérément à provoquer la crise, avec comme unique objectif soit de contraindre le peuple syrien à adopter le scénario libyen, soit de forcer le régime à se rendre à l’agenda politique de l’Occident. Ils [l’Occident] n’ont pas seulement ignoré les faits sur le terrain, mais ont récemment commencé à exercer des pressions ouvertes sur le peuple syrien, en punissant les institutions étatiques et des entreprises dont des dizaines de milliers de familles syriennes dépendent pour leur subsistance.
Oui, la Syrie est capable de maintenir son indépendance. Le régime a aujourd’hui à mener sur lui-même, à son niveau le plus fondamental, une opération vitale de chirurgie. Ceci, en un sens, est le début de sa disparition en tant que régime tel qu’on le connaissait, la fin de celui-ci comme système, mais pas nécessairement la fin de tous les individus [qui le composent]. Un problème que le régime semble avoir récemment reconnu est son besoin d’employer la diplomatie publique et ouverte, au lieu du secret et de la non-transparence jusqu’alors privilégiés. L’opinion publique est aujourd’hui plus importante que jamais auparavant, et on ne peut s’adresser à elle que par la diplomatie ouverte et publique.
Q4. La Syrie peut-elle rester (ou devenir) un pays laïque, si le Moyen-Orient (y compris Israël) est témoin d’une poursuite du renforcement de l’influence de religieux extrémistes dans l’établissement des décisions politiques ainsi qu’au sein de la société?
Bassam : la Syrie n’a jamais été un pays laïque. Et elle n’a jamais été non plus un Etat religieux, selon la conception habituelle.
La rue syrienne d’aujourd’hui, loin de la manifestation de la colère qui pousse certains à crier des slogans sectaires extrêmes, est plus que jamais consciente du danger de l’extrémisme religieux.
Plus important encore, aucun pays ne peut ignorer les forces de la société civile, et si la société syrienne civile a déjà avancé l’état d’urgence, et d’autres problèmes, comme une excuse pour éviter de s’impliquer, après cette crise, elle n’a plus d’excuse pour ne pas s’impliquer. Laissez la société civile (la véritable) faire face aux extrémistes religieux, et alors tout système sera contraint d’en tenir compte.
Le type de relations [entre la direction et les gens] dans tous les pays ne se résume pas à un régime face à son troupeau, à moins que la société civile et ses organisations renoncent à leurs responsabilités, quelles qu’en soient les raisons et les justifications.
Q5. Vous avez appelé chacun à renoncer à la violence, ceci comme un moyen de créer une société saine, et vous êtes l’un des premiers Syriens qui ait condamné les violences depuis le début des récents événements en Syrie. A partir de votre expérience dans le traitement des questions de violence, comment est-il possible dans ces circonstances que toutes les parties concernées puissent adopter la déclaration de renonciation à la violence et utiliser le langage du dialogue comme seul moyen de trouver des solutions, en gardant à l’esprit que vous avez personnellement refusé de vous asseoir à la table des négociations aujourd’hui. Quelle est la solution?
Bassam : Après avoir marché dans les rues de plusieurs villes syriennes, et à travers mes très nombreuses relations avec les vrais gens, je sais très bien que la proportion écrasante d’entre eux refusent la violence sous toutes ses formes. Sans cette donnée objective de notre société, nous ne serions pas ici aujourd’hui, la société syrienne aurait déjà explosé en une guerre civile dévastatrice il y a un mois.
Les milices armées (radicaux religieux et autres) sont une petite, mais très dangereuse minorité. C’est pourquoi j’ai soutenu publiquement une «opération chirurgicale précise» menée par le régime contre ces milices.
Le dialogue ne se résume pas pour autant à des gens assis à une table dans un hôtel ! Il est plutôt le résultat d’un certain nombre de mesures et de mécanismes qui permettent aux gens de définir leurs forces, de cristalliser leurs pensées et leurs perceptions, et ensuite d’élire leurs représentants. Voilà comment le dialogue peut être un dialogue et non pas seulement des discours. Quand cela se produira, ni moi, ni la majorité de la rue syrienne, aujourd’hui, ne refusera de s’asseoir à la table du dialogue.
Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que ce qui était annoncé (par le discours du président Bachar, Ndlr) n’a rien à voir avec une table pour dialogue réel. Il s’agit plutôt d’une tentative de certains de réserver des places sur le prochain train, au lieu que la population réelle de la Syrie soit habilitée à construire le train de son avenir.
Donnez-moi les lois pour les associations, les partis politiques et des médias réellement démocratiques, et modifiez immédiatement la loi d’aujourd’hui sur les manifestations, et vous verrez une image totalement différente de la Syrie dans un court délai. Une image qui n’effraie pas seulement le régime, mais aussi, à un même degré, l’«opposition».
Q6. Quelle est votre vision personnelle de l’avenir de la Syrie ? Quelles sont les solutions qui peuvent être mises en avant face à la complexité de l’état actuel des choses ?
Bassam : Mettre fin à la crise d’aujourd’hui n’est pas directement lié à la question du modelage de l’avenir de la Syrie. A mon avis l’avenir de la Syrie est simple : un Etat démocratique civil qui soit à la fois sûr et stable. Beaucoup de gens, même au sein du régime, sont bien conscients qu’il s’agit de notre seul espoir.
La sortie de crise aujourd’hui ne sera pas possible sans un panier d’actions et de mécanismes qui permettent aux gens de passer de la fragmentation et la marginalisation actuelles, au stade de la participation civique. Ce n’est pas une illusion. Les forces de la rue syrienne n’ont pas appris à parler comme les intellectuels, et n’ont pas appris à s’organiser à la façon des élites. C’est pourquoi ils ont un besoin urgent d’aide pour se développer.
Ici, je tiens particulièrement à souligner le danger réel menaçant le mouvement de protestation d’aujourd’hui, qui est le danger de désintégration. Ils ont traversé trois mois et demi de mouvement sans centre (de direction du mouvement, Ndlr), avec comme vrai mot d’ordre l’expression de leur colère et de leur sentiment d’être opprimés, et non pas le slogan qu’on a entendu plus directement (de chute du régime), même si certains des Syriens vivant en exil en ont prétendu autrement. Par ailleurs, le régime ne les reconnaît pas et ne pas leur fournit pas de mécanisme pour l’avancement de leur mouvement civil. Enfin, il y a des forces multiples, internes et externes, qui cherchent à exploiter cette situation. Tout cela réduit la capacité du mouvement à s’organiser, à se débarrasser des impuretés et à avancer vers un mouvement civil bien organisé et durable. Ainsi, elle (la désintégration) pourrait permettre à chacune des autres forces (y compris des criminels, des insurgés, des voyous, des brutes, ou les shabbiha …) de prendre le leadership de la plate-forme de ce mouvement, et dans ce cas, il serait vraiment trop tard dans la mesure où nous pourrions avoir à en payer un lourd tribut.
Le point de vue d’un opposant réformiste
Par Camille Otrakji, le 7 juillet 2011
M. Alkurdi Kinan nous fait parvenir la traduction, effectuée ces jours-ci par lui pour le site algerie-network, de l’interview d’un opposant syrien faite par le blogueur Camille Otrakji (dont nous avons déjà publié des textes, voir les archives du site). Cet opposant, Bassam Alkadi, dénonce, comme du reste pas mal d’adversaires du régime baasiste, les ingérences étrangère et les violences sectaires qui ont visé son pays. Il développe par ailleurs un point de vue original sur la situation et l’avenir possible de la Syrie.
Bassam Alkadi dans son bureau, à Damas
Radical et nuancé, le point de vue original d’un opposant syrien
Remarques du traducteur : Camille Otrakji, est un Syrien, établi au Canada, en charge du fameux site de l’universitaire américain Joshua Landis, dédié à la Syrie, « Syria Comment ». Il a mené une interview d’un opposant syrien, Bassam Alkadi, dont nous vous proposons la traduction française. Cette interview est celle d’un opposant qui refuse à la fois les manigances de l’opposition en exil réunie à Antalya, dominée par les Frères musulmans et les agendas de puissances étrangères, mais également les agissements de l’opposition intérieure syrienne réunie à l’hôtel Sémiramis de Damas (avec l’aval du régime). Alors même qu’il est en contact avec des ONG et des diplomates étrangers (très certainement essentiellement américains), il dénonce les manipulations de l’Occident et les agissements dans la rue de minorités violentes, et réfléchit aux moyens d’une sortie de crise, ainsi qu’à la nécessaire redistribution du pouvoir au sein de la société syrienne. On peut critiquer sa vision d’une démocratisation par les institutions de la société civile (typique de ce que les Américains promeuvent au détriment de la souveraineté nationale et populaire), mais son point de vue qui est indéniablement celui d’un Syrien soucieux de son peuple et de son pays – loin des manipulations diplomatiques et médiatiques des Américains, des Sionistes et des Saoudiens – mérite d’être entendu.
Interview avec Bassam Alkadi, Président de l’Observatoire des Femmes syriennes
Par Camille Otrakji, pour le site Syria CommentSource : http://www.joshualandis.com/blog/?p=10574Traduit en français pour le site algerie-network par Kinan al Kourdi
Bassam Alkadi est le président de la principale organisation syrienne pour les droits des femmes et un combattant acharné des droits de l’homme en Syrie. Bien qu’il ait été renvoyé de son travail, arrêté, emprisonné et interdit de voyager, il continue à être guidé par la logique et non la revanche. Il refuse le dialogue pour le dialogue. Au lieu de cela, il appelle à un dialogue qui suivrait l’accomplissement de certaines conditions, même partielles : la réalisation de certaines des réformes annoncées par le gouvernement syrien.
Dans cette interview il nous fait part de ses préoccupations et de ses craintes d’un conflit en Syrie ainsi que de ses espoirs pour une nouvelle Syrie, démocratique et laïque.
Q1. A votre avis, si des élections parlementaires libres devaient avoir lieu au plus tard cette année, lequel de ces partis obtiendrait le soutien populaire ? Serait-ce le parti Baath [parti nationaliste arabe, actuellement au pouvoir], le Parti Socialiste National Syrien [PSNS, parti « pansyrien »], le Parti Communiste, de nouveaux partis … ?
Bassam : Cette proposition est biaisée dès le départ. On ne peut pas envisager d’« élections parlementaires libres » dès aujourd’hui. Pour que des élections soient « libres », tous les outils et mécanismes nécessaires doivent avoir été rendus disponibles pour tous les partis durant une période adéquate de temps, avant que n’ait lieu une quelconque élection. Comment quelqu’un pourrait-il s’opposer, sinon, à la vaste propagande et aux machines médiatiques, à la fois du parti dirigeant et des islamistes ? Une élection de ce type ne serait pas « libre » au sens véritable du terme tant que les nouvelles lois démocratiques prévues (Loi sur les Partis, Loi sur les Médias, Loi sur la liberté du Parlement) n’auront pas été effectives pour au moins une année entière. Sans cela les élections se limiteraient aux seuls camps aveuglément pro ou anti-régime.
Q2. Quel serait le délai raisonnable pour les réformes prévues et annoncées par le Président Assad dans son troisième discours [du 20 juin 2011] ? Et soutenez-vous les préférences du Président pour la participation de représentants du peuple dans la formulation de ces réformes, dans le cadre de l’initiative d’un dialogue national ? Ou bien avez-vous un modèle différent que vous préférez ?
Bassam : Je soutiens totalement l’intention déclarée du régime d’impliquer de vrais représentants du peuple syrien. Les élites et les figures de l’opposition ont démontré leur échec et leur incapacité depuis un certain temps maintenant, mais spécialement durant la crise actuelle. Prouver ce point particulier nécessiterait un article spécifique, même si c’est facile à prouver. Les vrais leaders de la rue (les loyalistes et l’opposition) sont les seuls qui comptent, quand on en vient au dialogue national.
De plus, les réformes qui ont été lancées depuis la levée de l’état d’urgence ont véritablement besoin de plusieurs années pour être pleinement réalisées et mises en œuvre, et tout discours allant dans un sens différent de la part des dirigeants occidentaux ne peut être interprété que comme une manière de pousser le pays vers plus en plus de tension. Laissons ceux qui poussent [à la tension] présenter un plan pratique pour réaliser ne serait-ce qu’un quart des réformes promises en une année entière, s’ils pensent vraiment pouvoir le faire. Cela dit, des conséquences importantes de ces réformes, même incomplètes, peuvent être rendues visibles avant une durée d’attente trop longue. Ce serait très important comme mesure pour établir la confiance.
Q3. En tant que président de la l’Observatoire des femmes syriennes, qui surveille et promeut les droits des femmes en Syrie, dévoué à la non-violence, et qui a l’habitude de rencontrer des ONG et des diplomates occidentaux, vous avez récemment écrit une lettre exprimant votre colère et votre méfiance à propos des motifs réels qui sous-tendent le suivi étroit, par les USA et l’UE, des événements en Syrie. Vous êtes également critique de l’intervention turque dans les affaires de la Syrie. Croyez-vous que la Syrie est encore aujourd’hui capable de maintenir sa politique étrangère indépendante, et comment ?
Bassam : Je me refuse à décrire ce que l’Occident est en train de faire (en particulier les gouvernements américain, français, britannique, et allemand) comme « un suivi étroit ». Au contraire, leur intervention vise délibérément à provoquer la crise, avec comme unique objectif soit de contraindre le peuple syrien à adopter le scénario libyen, soit de forcer le régime à se rendre à l’agenda politique de l’Occident. Ils [l’Occident] n’ont pas seulement ignoré les faits sur le terrain, mais ont récemment commencé à exercer des pressions ouvertes sur le peuple syrien, en punissant les institutions étatiques et des entreprises dont des dizaines de milliers de familles syriennes dépendent pour leur subsistance.
Oui, la Syrie est capable de maintenir son indépendance. Le régime a aujourd’hui à mener sur lui-même, à son niveau le plus fondamental, une opération vitale de chirurgie. Ceci, en un sens, est le début de sa disparition en tant que régime tel qu’on le connaissait, la fin de celui-ci comme système, mais pas nécessairement la fin de tous les individus [qui le composent]. Un problème que le régime semble avoir récemment reconnu est son besoin d’employer la diplomatie publique et ouverte, au lieu du secret et de la non-transparence jusqu’alors privilégiés. L’opinion publique est aujourd’hui plus importante que jamais auparavant, et on ne peut s’adresser à elle que par la diplomatie ouverte et publique.
Q4. La Syrie peut-elle rester (ou devenir) un pays laïque, si le Moyen-Orient (y compris Israël) est témoin d’une poursuite du renforcement de l’influence de religieux extrémistes dans l’établissement des décisions politiques ainsi qu’au sein de la société?
Bassam : la Syrie n’a jamais été un pays laïque. Et elle n’a jamais été non plus un Etat religieux, selon la conception habituelle.
La rue syrienne d’aujourd’hui, loin de la manifestation de la colère qui pousse certains à crier des slogans sectaires extrêmes, est plus que jamais consciente du danger de l’extrémisme religieux.
Plus important encore, aucun pays ne peut ignorer les forces de la société civile, et si la société syrienne civile a déjà avancé l’état d’urgence, et d’autres problèmes, comme une excuse pour éviter de s’impliquer, après cette crise, elle n’a plus d’excuse pour ne pas s’impliquer. Laissez la société civile (la véritable) faire face aux extrémistes religieux, et alors tout système sera contraint d’en tenir compte.
Le type de relations [entre la direction et les gens] dans tous les pays ne se résume pas à un régime face à son troupeau, à moins que la société civile et ses organisations renoncent à leurs responsabilités, quelles qu’en soient les raisons et les justifications.
Q5. Vous avez appelé chacun à renoncer à la violence, ceci comme un moyen de créer une société saine, et vous êtes l’un des premiers Syriens qui ait condamné les violences depuis le début des récents événements en Syrie. A partir de votre expérience dans le traitement des questions de violence, comment est-il possible dans ces circonstances que toutes les parties concernées puissent adopter la déclaration de renonciation à la violence et utiliser le langage du dialogue comme seul moyen de trouver des solutions, en gardant à l’esprit que vous avez personnellement refusé de vous asseoir à la table des négociations aujourd’hui. Quelle est la solution?
Bassam : Après avoir marché dans les rues de plusieurs villes syriennes, et à travers mes très nombreuses relations avec les vrais gens, je sais très bien que la proportion écrasante d’entre eux refusent la violence sous toutes ses formes. Sans cette donnée objective de notre société, nous ne serions pas ici aujourd’hui, la société syrienne aurait déjà explosé en une guerre civile dévastatrice il y a un mois.
Les milices armées (radicaux religieux et autres) sont une petite, mais très dangereuse minorité. C’est pourquoi j’ai soutenu publiquement une «opération chirurgicale précise» menée par le régime contre ces milices.
Le dialogue ne se résume pas pour autant à des gens assis à une table dans un hôtel ! Il est plutôt le résultat d’un certain nombre de mesures et de mécanismes qui permettent aux gens de définir leurs forces, de cristalliser leurs pensées et leurs perceptions, et ensuite d’élire leurs représentants. Voilà comment le dialogue peut être un dialogue et non pas seulement des discours. Quand cela se produira, ni moi, ni la majorité de la rue syrienne, aujourd’hui, ne refusera de s’asseoir à la table du dialogue.
Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que ce qui était annoncé (par le discours du président Bachar, Ndlr) n’a rien à voir avec une table pour dialogue réel. Il s’agit plutôt d’une tentative de certains de réserver des places sur le prochain train, au lieu que la population réelle de la Syrie soit habilitée à construire le train de son avenir.
Donnez-moi les lois pour les associations, les partis politiques et des médias réellement démocratiques, et modifiez immédiatement la loi d’aujourd’hui sur les manifestations, et vous verrez une image totalement différente de la Syrie dans un court délai. Une image qui n’effraie pas seulement le régime, mais aussi, à un même degré, l’«opposition».
Q6. Quelle est votre vision personnelle de l’avenir de la Syrie ? Quelles sont les solutions qui peuvent être mises en avant face à la complexité de l’état actuel des choses ?
Bassam : Mettre fin à la crise d’aujourd’hui n’est pas directement lié à la question du modelage de l’avenir de la Syrie. A mon avis l’avenir de la Syrie est simple : un Etat démocratique civil qui soit à la fois sûr et stable. Beaucoup de gens, même au sein du régime, sont bien conscients qu’il s’agit de notre seul espoir.
La sortie de crise aujourd’hui ne sera pas possible sans un panier d’actions et de mécanismes qui permettent aux gens de passer de la fragmentation et la marginalisation actuelles, au stade de la participation civique. Ce n’est pas une illusion. Les forces de la rue syrienne n’ont pas appris à parler comme les intellectuels, et n’ont pas appris à s’organiser à la façon des élites. C’est pourquoi ils ont un besoin urgent d’aide pour se développer.
Ici, je tiens particulièrement à souligner le danger réel menaçant le mouvement de protestation d’aujourd’hui, qui est le danger de désintégration. Ils ont traversé trois mois et demi de mouvement sans centre (de direction du mouvement, Ndlr), avec comme vrai mot d’ordre l’expression de leur colère et de leur sentiment d’être opprimés, et non pas le slogan qu’on a entendu plus directement (de chute du régime), même si certains des Syriens vivant en exil en ont prétendu autrement. Par ailleurs, le régime ne les reconnaît pas et ne pas leur fournit pas de mécanisme pour l’avancement de leur mouvement civil. Enfin, il y a des forces multiples, internes et externes, qui cherchent à exploiter cette situation. Tout cela réduit la capacité du mouvement à s’organiser, à se débarrasser des impuretés et à avancer vers un mouvement civil bien organisé et durable. Ainsi, elle (la désintégration) pourrait permettre à chacune des autres forces (y compris des criminels, des insurgés, des voyous, des brutes, ou les shabbiha …) de prendre le leadership de la plate-forme de ce mouvement, et dans ce cas, il serait vraiment trop tard dans la mesure où nous pourrions avoir à en payer un lourd tribut.
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